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Le luxe fait face, comme les autres secteurs, aux grands défis écologiques. La tech peut lui offrir des moyens de faire mieux en la matière. Interview de l’auteur et expert du luxe Éric Briones.

L’une des idées développées dans votre livre est que la tech peut représenter une solution pour un luxe plus « vert ». Et ce, en dépit de son empreinte écologique…

L’angle écologique est l’un des six piliers du livre. En 2016, à la sortie de la première édition de l’ouvrage, le luxe était encore le cancre du digital. En 2022, il est devenu quasiment le premier élève. Ce cheminement inclut, entre autres, une prise de maturité en matière d’écologie. En parallèle, on assiste à une extension du domaine du luxe. Il est partout, dans la rue, autour de nous. Les campagnes à Times Square sont puissantes. La marque Vuitton affirme avoir un rôle dans la cité, ce n’est pas rien. Cette extension se pense au prisme de la question environnementale. Le luxe, qui veut être à l’avant-garde des questions environnementales, a besoin du digital pour la transparence. Selon moi, le digital doit être garant des engagements environnementaux du luxe. De façon générale, le luxe n’aime pas la transparence, mais sur la question environnementale, il a compris qu’il en fallait.

À combien se chiffre l’impact écologique du luxe ? Sachant que la mode constitue l’une des industries les plus polluantes de la planète…

Tous secteurs confondus (automobile, voyage…), le luxe représente 1400 milliards d’euros de dépenses en 2022, selon Bain & Company. Je n’ai pas vu de chiffre sur son impact écologique – le rapport entre le luxe et la transparence est toujours conflictuel. Ce chiffre pour la mode est connu mais LVMH considère qu’il ne fait pas partie de ce secteur. Au-delà d’une pirouette (le groupe publie ses chiffres par ailleurs), c’est surtout une question d’image. Car dans la mode, il y a aussi la fast fashion. La volonté est de ne pas s’y mélanger.

Où en est la prise de conscience écologique dans les entreprises du luxe ?

Elle est très lente. Ce qui change est que certains acteurs se posent publiquement la question. L’une des interrogations, selon moi, c’est l’impact carbone des plans médias. Autre exemple, l’écoconception. Tous les décideurs du luxe devraient suivre un cours à ce sujet. Sur les sites web, les carrousels constituent des catastrophes écologiques. La sobriété n’est pas l’ennemi de la transformation marketing, elle est une pensée qui doit guider les marketeurs. Au global, le luxe n’est ni à l’avant-garde, ni en retard sur ce plan par rapport à la moyenne des entreprises.

Quels sont les sujets les plus portés par les directions RSE des acteurs du luxe et leurs organisations en général ?

Le sujet le plus clivant est la seconde main. Il y a dix ans, c’était « sale ». Le digital a démocratisé la seconde main, qui a triplé en deux ans (2020-2022), selon une étude BCG pour Vestiaire Collective de 2022. L’argument numéro un, c’était l’écologie : prolonger la vie d’un objet est bon pour la planète. Toutes les générations s’y mettent. La génération X est celle qui revend le plus, la Z, le plus vite. La seconde main incarne le « feel good luxury » : je me sens bien avec mon objet de seconde main car c’est un achat accessible, malin, avec un côté ludique (guetter la bonne affaire) et écologique.

Sauf que les pratiques de la génération Z, la plus prompte à revendre, posent la question du poids écologique et du bilan carbone des coûts logistiques [à cause de la multiplication des emballages et des voyages en camion à chaque changement de propriétaire, par exemple]. Derrière le bénéfice écologique, le bilan carbone est pour le moins contrasté car les comportements reproduisent ceux de la fast fashion. Quoi qu’il en soit, le luxe commence à réagir. Il se positionne sur ce sujet. Richemont a racheté Watchfinder, site de montres d’occasion. Breitling, via les NFT, tente de reprendre la main de façon propriétaire sur la seconde main. Balenciaga a lancé son programme Re-sell…

Au-delà de l’apport de transparence, en quoi la tech peut-elle apporter des clés pour relever ces défis ?

Il faut être systémique. Ce qui compte, c’est à la fois le produit, l’omnicanalité, la campagne média. Si vous avez un produit « propre » et une campagne qui laisse à désirer d’un point de vue écologique, cela ne sert à rien. La grande (r)évolution est que l’on passe d’une logique de maison de luxe à une logique de plateforme de luxe. L’extraordinaire, qui est la promesse du luxe, ne peut reposer que sur une relation client sur mesure. La plateforme garantit l’exceptionnel. Par ailleurs, quand vous vendez des millions de produits à des millions de clients, la transparence, indispensable car exigée par les acheteurs, ne peut être que digitale à travers la plateforme.

En même temps, la tech ne peut rien contre la surexploitation des matières premières, la pollution de l’eau…

Le défi du luxe pour les années à venir est de maintenir sa croissance à deux chiffres dans un monde en crise. Selon Bain & Company, sa croissance s’établit à 22% en 2022. Si chez les millennials, le premier achat luxe se fait à 20 ans, il s’effectue à 15 ans chez la génération Z. La « génération écologique » ne voit pas d’incompatibilité entre les deux. Autre phénomène intéressant, la « luxury shame » [la honte de posséder un objet de luxe], qui avait sévi aux États-Unis lors de la crise de 2008, ne s’observe pas du tout en 2022. C’est lié au travail de fond fait par le luxe depuis sept à huit ans, qui est en train de payer. Le luxe apparaît comme la dernière respiration. En témoignent, par exemple, les façades de Harrods, à Londres, décorées pour ce Noël aux couleurs de Dior. Le luxe ne peut pas sauver le monde mais veut continuer à faire rêver. Dior est en train de remplacer Disneyland… « La visibilité d’aujourd’hui sont les bénéfices de demain », avait affirmé Pietro Beccari, PDG de Dior.  On observe aussi un retour de la qualité, comme l’illustre le positionnement de Bottega Veneta. La marque en a fait un axe central de sa communication. Elle a récemment lancé un service de garantie à vie sur des sacs iconiques.
Le piège pour le luxe serait de ne s’adresser qu’aux riches. D’où une stratégie de visibilité et de plaisir. Le luxe change son access. Avant, le point d’entrée était un sac, des chaussures… Aujourd’hui, c’est un rouge à lèvres à 80 euros. Le développement de piliers beauté pour les marques de luxe ne date pas d’hier mais se renforce. Le luxe mise aussi sur de l’expérientiel (restaurants, pop-up stores, café, vin…). Il se redéfinit pour être compatible avec une société de sobriété.

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