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La sixième conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme, qui se tenait le 8 décembre à Sciences Po, a brossé le portrait d'un journalisme à l'heure des machines, tout en prodiguant des conseils éthiques.

Robots journalistes, déontologie à la dérive, rédactions sur écoute... La sixième conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme, qui se tenait le 8 décembre à Sciences Po, dressait un tableau pour le moins inquiétant des rédactions à l'ère numérique, tout en s'efforçant de proposer des garde-fous. Avec, comme thème principal, l'omniprésence des algorithmes.

 

La première conférence de la journée, intitulée «Anatomie d'un robot journaliste», insistait tout de go sur «la nécessité de mettre en place des rédactions en chef pour les robots», comme le soulignait Nicholas Diakopoulos, assistant professeur à l'Université du Maryland et chercheur au Tow Center de Columbia. «Les journalistes sont de plus en plus influencés par les algorithmes», estime Kelly McBride, vice-présidente des programmes académiques de Poynter. Les algorithmes prennent aussi le rôle des médias dans la sélection de l'information, de moins en moins effectuée par des humains.»

 

Ainsi, le robot du New York Times dénommé «NYT 4th down bot», qui analyse les matchs de football américain et peut parcourir à cet effet quinze ans de datas. «ESPN emploie une équipe de journalistes pour s'en occuper, mais cela est cohérent avec son business model. L'immense majorité des rédactions n'a plus les moyens de faire appel à des humains pour ce type de tâches», souligne Kelly McBride.


On n'en est sans doute qu'au début de l'invasion des rédactions par les robots, prévoit Nicholas Diapoulos, qui met en garde: «L'utilisation des robots et des algorithmes pose des questions éthiques.» Kelly McBride va encore plus loin: «Les algorithmes vont changer l'organisation de la démocratie, prédit-elle. Dans la démocratie athénienne, la popularité d'une idée était déterminée par la rhétorique des citoyens. Aujourd'hui, elle est déterminée par les algorithmes...»

 

A telle enseigne que Slate vient de lancer Reader, un outil de sélection qui ne laisse pas pour autant le pouvoir aux chiffres: la curation se fait, à 50%, à la suite d'une intervention humaine. Mélissa Bounoua, journaliste en charge du projet, se réclame d'outils comme NYT Now, lancé en avril 2014, I100, application de The Independant lancée en juillet 2014 sur le modèle de Reddit, lequel reçoit, après six ans d'existence, 1 329 795 visiteurs uniques par jour.

 

En France, la jeune journaliste cite également Brief.me, de Laurent Mauriac, et L'Important, lancé en novembre 2013. Pour Reader, qui proposera chaque jour 40 articles, un «bot» scannera 50 000 URL sur les réseaux sociaux (pour l'heure Facebook et Twitter, à terme d'autres, comme Linked In). Deux journalistes effectuent le tri: «Notre machine ne peut pas juger de la qualité d'un contenu, explique Mélissa Bounoua. Elle ne sait pas discerner le second degré, évaluer l'originalité d'un angle, discerner les propos diffamatoires ou racistes.»

 

Des machines bien traîtresses

 

Le règne des robots n'est pas pour aujourd'hui. Même si, comme l'a rappelé Susan E. McGregor, directrice adjointe du Tow Center de la Columbia Journalism School, qui donnait une conférence sur le thème «Journalisme, vie privée et sécurité en ligne: faut-il être parano ?», il convient d'observer la plus grande circonspection vis-à-vis des machines, qui peuvent se montrer bien traîtresses. «Vos portables sont l'équivalent de radios qui diffusent au monde entier des informations sur vous, à chaque fois que vous allumez le wifi», prévient-elle, avant que de donner une série de conseils aux journalistes soucieux de leur confidentialité: «Cryptez vos téléphones, évitez les e-mails le plus possible, préférez les échanges IRL [in real life]...» Brrr.

Angoissant. Tout comme les conclusions sans appel de Tom Kent, éditeur en charge de la déontologie à Associated Press, qui travaille pour l'ONA (Online News Association), sur un nouveau code de déontologie destiné aux journalistes de l'ère numérique. «La déontologie n'a jamais autant été à la dérive», déplore-t-il. Illustration, citée par Samantha Grant, directrice de Gush Productions, (qui a sorti un documentaire, A fragile trust, sur l'affaire du journaliste plagiaire Jayson Blair du NYT), et intervenante d'une conférence intitulée «Prendre des décisions sous la pression du temps réel»: «La pression exercée sur les journalistes pour qu'ils produisent plus de contenu augmente et, en parallèle, les recrutements se raréfient. Résultat, les erreurs se multiplient.»

 

Tentative de prendre du recul dans les moments de panique, le «serious game» dénommé Decisions on Deadline: ce «simulateur d'éthique» permet de s'immerger dans des situations virtuelles et de tester sa déontologie en temps réel. Ironie des ironies, cette aide à la prise de décision destinée aux journalistes noyés dans l'ère numérique se présente sous la forme... d'une application Ipad.

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