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Dans le sillage de XXI, les «magsbooks» se multiplient, tels Usbek & Rica et Alibi. L'une des clés du succès: le choix d'une présence en librairies.

On leur a ri au nez, à l'époque. Peu d'investisseurs auraient, il y a trois ans encore , misé un kopeck sur ces magazines d'un nouveau genre. Avec XXI, le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry et l'éditeur Laurent Beccaria (Les Arènes) ont bel et bien inventé un modèle: les «magbooks», hybridation entre le livre et le magazine, que certains vont jusqu'à baptiser les «mooks». Aujourd'hui, le titre qui, avec ses articles au long, fait fantasmer nombre de journalistes est cité en exemple par les experts de presse, et ses articles sont repris à l'envi dans les médias. Ce n'est pas un simple succès d'estime: pour chaque numéro, XXI, qui fut  récompensé en 2009 par le prix Albert-Londres pour un reportage sur le Zimbabwe de la journaliste Sophie Bouillon, se vend de 40 000 à 45 000 exemplaires.

«Nous sommes les enfants de XXI», lâche Jérôme Ruskin, le jeune (vingt-six ans) directeur de la publication d'Usbek & Rica, trimestriel lancé en mai dernier. Dans ce sillage, l'année écoulée a vu la floraison de plusieurs de ces nouveaux titres, tous luxueux et exigeants, éditorialement parlant. Le trimestriel Alibi, qui se consacre au crime sous toutes ses formes, polar ou fait divers, se présente comme «le dernier bébé des “magbooks”» et reconnaît sans peine que «XXI a ouvert la voie». «Des exemples étrangers, comme la revue américaine Granta, nous ont inspirés, explique Marc Fernandez, directeur de la publication et rédacteur en chef d'Alibi. Monocle, lancé en 2006 par le journaliste canadien Tyler Brûlé, est un produit très innovant par son modèle économique:il a développé une émission de radio sponsorisée par Blackberry et ouvert une boutique en ligne, qui vend des objets branchés. Mais c'est avant tout un objet incroyablement beau et raffiné.»

«Objet»: tous les éditeurs de «magbooks» revendiquent le terme, absolument pas anodin. Les créateurs du trimestriel pour enfants Bonbek, dont le deuxième numéro est sorti le 19 janvier (tiré à 10 000 exemplaires), avouent avoir «voulu sortir du côté “collier de nouilles” de la presse enfantine en concevant l'inverse d'un produit jetable. Chaque numéro, nous le concevons comme s'il devait faire partie d'une collection.» Son directeur artistique vient d'ailleurs de Wad, un magazine branché de quelque 300 pages fondé en 1999 par Bruno Collin et Brice Compagnon.

La librairie est plus adaptée que le kiosque

Même les groupes de presse rejoignent la famille à haute valeur ajoutée des «magbooks»: le féminin culturel Muze, édité par le groupe Bayard Presse depuis 2004, s'est un peu cherché lorsqu'il se vendait comme un simple magazine. D'abord lancé comme mensuel, Muze a même connu un arrêt de parution en décembre 2009. Entre 2005 et 2008, la diffusion du titre a perdu plus de 12%, à 37 605 exemplaires (OJD 2008). Au seul premier semestre 2009, les ventes avaient encore chuté de 11%… Surprise en juin 2010: le féminin, qui avait, malgré des résultats décevants, réussi à séduire un noyau de lectrices fidèles, choisit de reparaître. Mais cette fois-ci avec une périodicité trimestrielle, une pagination augmentée à 176 pages et un prix plus que doublé (12,99 euros, contre 5,90 euros auparavant). Et, surtout, le titre au dos carré ne se trouve plus dans les kiosques, mais dans les rayonnages des librairies.

La voilà, la martingale! La présence chez les libraires ne manque pas d'intérêt pour les éditeurs. «Pour un trimestriel, le kiosque, ce n'est pas ce qui se fait de mieux, en termes de visibilité», souligne Marc Fernandez, d'Alibi. «Alors que si les libraires nous posent sur la table du rayon polars, on ne pourra pas nous louper!» Le prix plutôt élevé de tous ces titres (15 euros pour Alibi, Bonbek et Usbek & Rica) induirait presque ce mode de diffusion. «Personne ne va en kiosque acheter un magazine à 15 euros…», lâche Sophie Cleyet-Marrel, directrice de publication de Bonbek.

Dans ce cas, le côté «bel objet», plaisir de collectionneur, joue à plein. «Les “magbooks” ne sont pas tributaires de l'actualité et sont des produits qui se conservent, ce qui assure leur permanence dans les fonds de librairies», explique Damien Serieyx, directeur des éditions du Toucan, qui publie Bonbek. «Il n'est pas rare que les clients achètent plusieurs exemplaires d'un coup. Chaque numéro se vend sur la longueur», constate Jérôme Ruskin, d'Usbek & Rica. Mais, surtout, avec le système de distribution en librairies, le problème des invendus est en partie réglé. «C'est l'enjeu principal: limiter les retours», souligne Damien Serieyx. «Nous avons un taux de retour de 8%. En presse, cela monte souvent à 60%, et on ne peut pas se le permettre avec les “magbooks”, qui sont onéreux à produire», explique Sophie Cleyet-Marrel.

Flairant le filon, certains diffuseurs se sont même spécialisés dans ces enfants de la presse et de l'édition, comme Dif'Pop, qui distribue Alibi (tiré pour son premier numéro à 20 000 exemplaires, avec un point mort à 8 000), mais aussi les hors-séries de Télérama ou des revues, comme Le Tigre, un magazine généraliste indépendant et sans publicité. Usbek & Rica a connu un démarrage en deçà de ses objectifs (10 000 exemplaires, alors qu'il faudrait en vendre 17 000 afin de parvenir à l'équilibre), mais Jérôme Ruskin persiste et signe: «Cela ne remet absolument pas en cause notre modèle.» Le jeune éditeur planche d'ailleurs sur un nouveau «magbook». Également dans les cartons, pour 2011, un futur titre lancé par le pionnier de XXI, Laurent Beccaria. Les libraires vont devoir dégager de la place dans les rayons.

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