Prospective

Il est traditionnel de cataloguer Internet dans la catégorie des médias. Après la radio, la télévision, les journaux, voici maintenant Internet. Même le grand McLuhan a écrit, avec une vision extraordinaire: «Nous allons passer d'une civilisation de médias chauds et de spectateurs froids à une civilisation de médias froids et de spectateurs chauds.» Et ce à une époque où Internet n'existait que sur le papier. L'expression actuelle de «médias sociaux» ne fait que renforcer cette idée.

Pourtant, Internet n'est pas dans la même classe que les médias traditionnels. Pour illustrer ce point, revenons en 1994. Intel sort son microprocesseur Pentium, avec un défaut qui lui faisait effectuer, très rarement, un calcul erroné. Un ingénieur s'en est aperçu et l'a signalé à l'entreprise, preuve à l'appui. Intel a ignoré cette information. L'ingénieur décide de poster le résultat dans un forum de discussion et, bien sûr, plusieurs personnes ont reproduit le résultat à l'identique. Intel fut alors obligé d'admettre le fait.

L'analyse de cet événement peut se faire simplement, en utilisant certains outils de l'informatique théorique. Il y a trois niveaux de connaissance: la connaissance individuelle – quelqu'un sait qu'il y a un problème –, puis la connaissance collective – tout le monde sait qu'il y a un problème. Le problème d'Intel était de faire face à des milliers de clients qui, non seulement, savaient le problème, mais savaient que les autres clients savaient. C'est le troisième niveau, la connaissance globale: tout le monde sait que les autres savent qu'il y a un problème.

Le fameux «quatrième pouvoir» fait passer de la connaissance individuelle à la connaissance collective: tout le monde a lu le journal, regardé la télévision, etc. Mais Internet fait passer du collectif au global. Internet n'est pas un média comme les autres, les différences sont importantes. Là où les médias traditionnels sont en mode «broadcast», Internet est, depuis ses premières années, en mode «peer to peer», puisqu'il unit des individus entre eux. L'invention du Web au début des années 1990 a même été une légère régression, puisqu'il permettait d'accéder à des données, l'architecture client-serveur revenait au modèle du «broadcast».

Mais cette légère régression était nécessaire pour que le grand public s'empare d'Internet, et s'il fallait caractériser le Web 2.0 en peu de mots, c'est tout simplement les retrouvailles, au travers de la fenêtre du navigateur, avec les fondamentaux d'Internet: ce qui unit les gens.

La neutralité est l'un des fondements d'Internet. Ceci est vrai au niveau technologique, puisque les protocoles de routage ne contiennent aucun algorithme différenciant un paquet d'un autre. Mais également au niveau philosophique, puisqu'en rejetant le choix ou le filtrage aux extrémités, Internet favorise plus une éthique qu'une morale. À l'inverse, le savoir-faire des médias traditionnels est de choisir un angle d'attaque, une prise de vue, une interview, un point de vue, qui sont autant de choix importants pour le résultat et qui sont tout sauf neutres.

Internet est une énorme construction systémique, un jeu de Lego, basée sur le réseau. Les médias traditionnels veulent tout réaliser et même décider de ce qui est bon pour le client. Une approche systémique se base sur deux fondamentaux: une ontologie commune et des interfaces publiques. Ce sont exactement les principes d'Internet. Tout le monde peut créer un moteur de recherche, un réseau social, un monde virtuel, etc., parce que les interfaces sont connues, les protocoles ouverts.

Alors que le modèle du marketing de masse est encore bien vivace, pourquoi donc Internet, qui est le support des communautés, s'est-il installé si rapidement, est-il devenu si important, au point de reléguer les médias traditionnels au rang de fournisseurs de contenu?

Depuis peu, nous sommes devenus un collectif de presque 7 milliards de spationautes, contre même pas 2 milliards il y a un siècle. Le temps moyen que passe un citadin dans les transports est le même dans toutes les métropoles du monde: 1h30. Nos journées sont remplies d'interactions, qui deviennent de plus en plus nombreuses. Il faut donc un outil pour gérer cette complexité croissante, et ce n'est pas par hasard qu'Internet s'impose. Après l'ère des médias et du «broadcast» en mode vertical, l'horizontal a pris la main.

Nous sommes maintenant entrés dans la société de l'interaction.

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