Ressources humaines
Les réseaux féminins se multiplient, en particulier au sein des grands groupes. Mais jouent-ils bien leur rôle d'accélérateur de carrière ? Enquête, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes le 8 mars.

«En 2007, nous recensions 200 réseaux professionnels féminins. Aujourd'hui, nous en avons identifié 400», constate Emmanuelle Gagliardi, directrice de l'agence Connecting Women et auteure de Réseaux au féminin qui vient de paraître chez Eyrolles. Cette observatrice assidue des réseaux note un véritable boom de ces cercles ou clubs. Bien décidées à gagner le combat pour l'égalité salariale et à obtenir la parité à tous les niveaux de l'entreprise, les femmes sonnent la mobilisation générale. Pourquoi un tel engouement pour les réseaux? Les femmes les utilisent-elles comme les hommes? Sont-ils réellement efficaces?

«Jusqu'à récemment il n'y avait pas du tout de networking féminin, rappelle Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d'Aufeminin.com. Les femmes, accaparées par les tâches familiales, avaient tendance à rentrer directement chez elles après leur journée.» Pas le temps d'assister à une conférence entre le boulot et la maison.

Triangle des Bermudes

L'événement déclencheur de cet essor des réseaux au féminin a été le Women's forum. Lors de sa première édition, en 2005, des dirigeantes se rencontrent et réalisent l'importance de joindre leurs forces pour faire avancer leur cause dans l'entreprise. Même si les grandes écoles de commerce, habituées à gérer les réseaux d'anciens, avaient commencé à s'emparer du sujet (HEC en 2001, l'Essec en 2002), ainsi que certains réseaux de femmes précurseurs, comme l'European Professional Women's Network (fondé en 1996).

Ces clubs interentreprises regroupent des femmes qui accèdent à des fonctions de direction mais se sentent isolées au sein du comité exécutif de leur groupe et ont besoin d'échanger sur leurs pratiques, leur organisation. «Les femmes représentent 56% des diplômés du supérieur et moins de 10% des membres des comités exécutif: entre les deux il y a un triangle des Bermudes, où elles disparaissent», soupire Emmanuelle Gagliardi.
Depuis, bien d'autres réseaux ont vu le jour: Women in leadership, Cyber Elles, Femmes de com'... «Au départ, ces réseaux étaient très parisiens et élitistes, complète Emmanuelle Gagliardi. Ils ont essaimé en province et sont descendus dans la hiérarchie de l'entreprise.» Certains sont devenus massifs et comptent plusieurs milliers de membres. D'autres en limitent sciemment le nombre (lire l'encadré).

Autre tendance plus récente: l'explosion des réseaux de femmes au sein même des grands groupes. Réseau «Elles» à IBM, avec 180 volontaires; Women's network à General Electric qui réunit en France plus d'une employée sur trois; EDF, qui compte 1 300 membres à son réseau Interp'elles, se targue d'être passé de 6 à 16% de femmes dans les postes de direction en dix ans...

Les sociétés sont pressées de toutes parts pour atteindre la parité au sein de leurs instances dirigeantes. Du coup, elles multiplient les initiatives et favorisent la création de réseaux féminins intégrés. «Actuellement, nous accompagnons dans la conception et le développement une douzaine de réseaux de ce type en entreprise: chez Orange, à la SNCF, chez Casino...», égrène Véronique Morali, présidente de Terrafemina et du Women's forum. Axa a lancé en mai dernier Mix'In. Dans la banque et l'assurance, tous les réseaux internes (Axa, BNP, Société générale...) se sont fédérés sous la bannière Financi'Elles.

Le Cercle Inter-Elles, qui regroupe douze sociétés réputées plutôt masculines (Air liquide, Areva, CEA, EDF, GE, IBM, Lenovo, Orange, Schlumberger...) est, lui, une sorte de réseau des réseaux d'entreprise. Il vise à favoriser le recrutement des femmes et leur épanouissement tant personnel que professionnel.

Travailler la notion de bonheur

Objectif du Cercle, qui organise son colloque le 7 mars et affiche un taux de féminisation de 30% dans ses entreprises: les échanges de bonne pratiques. Sensibilisation des managers à l'intérêt de la mixité et au label d'égalité professionnelle... ses actions sont multiples.

«La notion de bonheur est peut-être plus importante à travailler que la notion de réussite», estime Laurence Thomazeau, directrice «Governance & risk management» d'Air liquide qui n'hésite pas à rappeler qu'«une vie équilibrée améliore la libido, qu'il y a moins de divorces avec des couples aux statuts équivalents» et qu'in fine, «le bien-être décuple le niveau de performance».

Meilleure compréhension des clients, renouvellement des talents, décisions moins biaisées.... La mixité n'a plus à démontrer ses avantages. Mais encore faut-il trouver des alliés: «Il faut sortir du cadre fémino-féminin, estime-t-elle. On n'avancera que si l'on associe les hommes.» Le réseau Interp'elles d'EDF, qui se flatte d'avoir atteint l'égalité salariale, est ainsi ouvert aux hommes.

Comme le rappelle Delphine Ernotte-Cunci, directrice exécutive d'Orange France, «la promotion des femmes dans les entreprises passent encore beaucoup par les hommes». Créer des réseaux de femmes parallèles aux réseaux informels masculins ne servirait donc pas à grand-chose.
Orange vient de donner naissance à son petit dernier, mi-février: Innov Elles, communauté de femmes cadres d'Orange en France. Dans le groupe télécoms, il y a maintenant dix réseaux de femmes (internes et externes confondus) et un total de 1 500 membres. «Un chiffre qui augmentera sans doute avec le décollage d'Innov Elles, prédit Delphine Ernotte-Cunci. Cela s'inscrit dans les objectifs de notre plan stratégique 2015: avoir autant de femmes dans les instances dirigeantes - 24% aujourd'hui - que dans l'entreprise, soit 35%.»

L'opérateur entend ainsi fabriquer des rôles modèles et rendre les évolutions possibles dans l'imaginaire de ses collaboratrices. Ses communautés se fédèrent autour de flux de conversation avec des objectifs comme la production de petits poèmes sur Twitter. Exemple: «Réunion du soir, homme bavard et vantard. Maman en retard».

Nouvelle vague

«Mais il y a aussi une visée plus business, poursuit Delphine Ernotte-Cunci: les clientes représentent 50% de nos clients, ce réseau doit pouvoir suggérer des idées pour notre activité, nos produits.» A l'instar de ce qui s'est déroulé chez Accor, où le réseau féminin a proposé de créer un autre kit, à côté de la petite pochette contenant de la mousse à raser et un rasoir, distribuée dans tous les hôtels.

Philippe Thurat, directeur à la diversité chez Areva, confirme que l'égalité des chances «doit faire partie intégrante de la politique RH». «Ce n'est pas un truc que je fais quand j'ai le temps et que je ne fais pas quand je n'ai plus le temps», ajoute-t-il. L'homme évoque les réticences syndicales que l'on rencontre parfois et le fait que 400 entreprises sur 3 500 sont sorties de la charte de la diversité, faute de respecter leurs engagements. Les accords sur l'égalité des chances et le label Diversité sont désormais contrôlés par l'Afnor.

Les entreprises ont bien compris tout le parti qu'elles pouvaient tirer de cette nouvelle vague de réseaux féminins, en termes marketing, d'organisation, de vie au travail. «Ils doivent être force de proposition et portés par le comité exécutif pour fonctionner car au départ ces réseaux de femmes restent entourés de scepticisme, dit Véronique Morali. Certaines ont peur d'être stigmatisées, en y participant.»
Mais ces réseaux sont-ils vraiment utiles pour les femmes? Oui, car leur mise en place s'accompagne en général de tout un arsenal d'outils au service de la promotion des femmes: coaching, mentoring, élaboration de plans de succession de dirigeants. Et cela donne des résultats.

«Même si ces réseaux constituent un nouveau corps intermédiaire, ils ne se substituent pas aux DRH. Il y a encore un décalage par rapport à l'efficacité des réseaux masculins, estime Emmanuelle Gagliardi. Elles s'y mettent plus tard, autour de 35-40 ans. Et elles n'attendent pas la même chose du networking: elles veulent de l'échange, de l'entraide, des modèles, des pistes sur comment concilier au mieux vie pro et vie perso... Là où les hommes vont raisonner davantage cartes de visites, chiffre d'affaires, contacts clients.»

Pour ces réseauteuses, la question du business vient donc dans un second temps. Outils d'entraide et de partage d'expériences, leviers de retour à l'emploi après une période d'inactivité, les réseaux ne doivent pas être des ghettos: «Il faut des moments mixtes et des moments de liberté de parole où l'on se retrouve entre nous car nous sommes encore minoritaires», résume Aline Aubertin, manager marketing chez GE.

Yseulys Costes, dirigeante de 1000 mercis, loue leur efficacité: «Tout au long de mon parcours, les réseaux m'ont aidé à recruter, à échanger.» Mais avant d'accéder à des fonctions de direction, le recours au réseau sera plus hésitant.

«Il faut que cela leur serve d'un point de vue professionnel d'abord, insiste Valérie Perruchot-Garcia, directrice communication et affaires publiques chez Janssen (Groupe Johnson & Johnson). Aujourd'hui, si un homme dispose de 70% des compétences, il osera dire "je veux le job". A l'inverse, une femme ne lèvera pas le doigt si elle n'a pas 99 % des qualités requises. Ces programmes doivent les aider à lever le doigt, à prétendre à un poste plus élevé.»

Emmanuelle Gagliardi, de Connecting Women, rappelle les basiques du réseautage: «Ce qui compte, ce n'est pas de connaître un grand nombre de personnes mais d'être connu.» Autrement dit, il y a un gros travail à mener pour se rendre visible dans l'entreprise, ce qui ne va pas toujours de soi.

«Le faire-savoir reste une logique davantage masculine, les femmes doivent apprendre à consacrer une partie de leur temps à cette activité», souligne Thaima Samman, fondatrice du cabinet d'avocats éponyme et présidente de European Network for women in leadership.
Une réelle nécessité aujourd'hui car il y a des postes à pourvoir par exemple au sein des conseils d'administration: la loi impose d'arriver à 20% de femmes en 2014 et 40% en 2017. «Pour intégrer un conseil d'administration, cela ne sert à rien d'envoyer un CV, il faut que votre nom circule», conclut l'auteure de «Réseaux au féminin».

 

Encadré

 

Carnet d'adresses

 

Cercle Inter Elles. 500 cadres issues des douze entreprises partenaires (Orange, GE, IBM...).
Colloque annuel, chantiers thématiques...

 

Cyber Elles. 500 entrepreneures et dirigeantes du Web. Ateliers, dîners, networking...

 

Femmes de com. Une centaine de directrices de la communication. Rencontres avec des expert(e)s, ateliers thématiques...

 

European professional women's network. Réseau international de 3 000 membres. 450 événements par an.

 

European network for women in leadership. Réseau international de 200 dirigeantes, soutenu par Microsoft et Orange. Deux événements européens par an, formations...

 

Toutes femmes, toutes communicantes. Commission créée au sein de l'association Communication & entreprise. Ateliers coachings, dîners réseaux...

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