Cette technique de communication se développe. Régies publicitaires et agences médias s'équipent, quelques grands annonceurs y recourent. Mais ce format, encore peu encadré, fait débat.

Elle s'inscrit dans la continuité du bon vieux publireportage et plus récemment du «brand content». Nouvelle pratique publicitaire ou simple phénomène de mode, le «native advertising», qui fait fureur aux Etats-Unis et a débarqué en France il y a un an, est devenu le nouveau mantra des médias et de certains annonceurs. Le native ad a le goût et la saveur d'un article de presse sans en être un: ce contenu publicitaire, intégré au flux d'actualité d'un média en ligne, se présente comme un article, seule une mention telle que «contenu de marque» ou «en partenariat avec» indiquant, ou suggérant, au lecteur qu'il s'agit bien d'une publicité.

 

«C'est un contenu éditorial déconnecté d'une actualité publicitaire qui est censé donner à l'internaute un éclairage sur une thématique», résume Sylvie Tassan-Toffola, directrice adjointe d'Amplifi France (Dentsu Aegis Network). «Cela se rapproche du publirédactionnel, complète Thomas Jamet, chief executive officer de Moxie (Zenith-Optimedia), et président de la commission brand content et innovation de l'Udecam (Union des entreprises de conseil et achat media). C'est comme dans un magazine que les gens achètent pour son contenu et où une marque raconte, dans une page sponsorisée, une histoire en empruntant les codes du journal.»

 

Outre-Atlantique, le concept a été initié par Forbes, suivi par Buzz Feed, Mashable ou le Huffington Post. En France, les régies de groupes de presse tels que 20 Minutes, Amaury Médias et Mondadori ont développé des offres spécifiques en la matière. Des rubriques sponsorisées fleurissent également dans divers médias en ligne, notamment spécialisésen technologies: Lesechos.fr a un dossier sur la relation client réalisé  en partenariat» avec Orange Business Services, Huffingtonpost.fr et E-marketing.fr des rubriques «Contenu de marque», Clubic.com propose «L'actu de marque», Numerama l'«Article sponsorisé par», Lexpress.fr «Le rendez-vous IT» avec HP...

Dans la foulée, des régies publicitaires et certaines agences médias se dotent d'entités spécifiques. Group M (WPP) vient ainsi de créer Group M Entertaiment. D'autres gèrent cette activité via leurs entités brand content, comme Fuse chez Omnicom Media Group, Moxie chez Vivaki, Amplifi (pour les partenariats et opérations spéciales) chez Dentsu Aegis Network, ou Havas Media Native.

«Des sources alternatives pour capter l'attention»

Naissant en France, ce marché représente des investissements encore marginaux. Il a généré 1,9 milliard de dollars de revenus publicitaires aux Etats-Unis en 2012 et 2,29 milliards en 2013. Peu de données sont disponibles en France: «Le brand content et le publireportage représentent 15% des revenus d'une régie publicitaire», précise Sylvie Tassan-Toffola. Amaury Médias Publishing déclare 500 000 euros de chiffre d'affaires réalisé via le native ad depuis septembre 2013. Le coût moyen d'une campagne par ce moyen est évalué entre 10 000 et 40 000 euros.

En quoi cette technique intéresse-t-elle les marques et les médias? Pour ces derniers, c'est l'occasion de trouver de nouvelles ressources publicitaires, face à l'érosion des revenus des display traditionnels (pour ne rien dire des revenus publicitaires classiques). D'autant plus pour des médias «pure-players»: «Ils sont affectés par la réduction des investissements publicitaires, notamment le secteur technologie. Et on a vu une montée en puissance des “adblockers” permettant de bloquer les bannières, surtout lorsque Xavier Niel [fondateur du groupe Iliad] en a fait la promotion en 2013», assure Lilian Thibault, vice président Europe du groupe Purch et directeur de la régie Best of Content.

Les marques, elles, y voient une manière de communiquer plus ciblée. «Il s'agit de générer de l'engagement et de la fidélisation de sa cible par rapport à son univers de marque», résume Sylvie Tassan-Toffola, d'Amplifi France. «Il faut trouver des sources alternatives pour capter l'attention de l'internaute alors que les performances du display classique régressent. Il s'agit aussi de pouvoir préempter des territoires sur des thématiques, tels que les usages numériques, les services…», ajoute Séverin Cassan, directeur de la communication digitale chez Orange France.

Ainsi, une marque comme HP, qui a mené une opération de native ad sur Clubic d'avril à fin juin, y voit l'opportunité de créer un «storytelling» autour des usages. «On peut parler aux différents métiers qu'on cible, faire passer des messages autres que des produits. Ici, pour les solutions d'impression, nous avons parlé du recyclage des cartouches, des services d'impression…», résume Sabine Turkieltaub, directrice marketing de la division Printing and Personal Systems (impression et systèmes personnels) de HP France.

Des formes diverses

Autre enjeu crucial: trouver de nouvelles formes de publicité toujours plus intégrées face à un lecteur toujours plus averti. «Sur Internet, il zappe presque inconsciemment les emplacements publicitaires traditionnels, son œil va spontanément vers le contenu, résume Alexandre Laurent, responsable des rédactions Clubic et Jeux vidéo. Avec le native advertising, on remet un contenu publicitaire là où se porte l'attention du lecteur. C'est un emplacement publicitaire supplémentaire qui adopte les codes de notre fil d'actualités.» De fait, Clubic a créé, fin 2013, une rubrique «Actu de marque»: un article sponsorisé placé en troisième position dans le flux d'actualités.

L'avantage des campagnes de native advertising est qu'elles sont sont mesurables. «C'est un format automatisé, “adservé”, avec des statistiques, où l'on connaît le nombre de lectures par jour d'articles, les KPI [indicateurs clés de performance] et qui l'on touche», résume Nicolas Thorin, directeur général adjoint de Group M Entertainment (GME), l'entité de création de contenu de Group M.

Ces opérations de «contenus de marques enrichis» prennent des formes diverses. Avec des secteurs aussi variés que l'automobile (lire l'interview page xx), l'électronique grand public, les télécoms, la beauté… jusqu'aux campagnes d'intérêt général, comme celle menée le printemps dernier par Dentsu Aegis pour l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) sur les enjeux de la contraception, déclinée sous forme de publireportages dans la presse féminine de juillet à octobre et prolongés sur le Web.

GME et Mediacom, de leur côté, ont monté durant la Coupe du monde de football un plan médias pour Sony Mobile autour des smartphones Experia. Le Figaro diffusait ainsi des infographies pendant l'événement sportif concernant des chiffres du jour, une équipe, un joueur ou un match.

Tâtonnement et grincements de dents

Pourtant, faute d'être encadré par la loi ou par la profession, le native advertising fait grincer des dents. La plupart du temps, ces contenus sont produits à l'extérieur de la rédaction par des rédacteurs de la régie publicitaire ou de l'agence médias. Ils sont ensuite soumis à la rédaction pour avis. Mais certains médias demandent aux journalistes de leur rédaction de créer du contenu pour les marques, ainsi au pôle magazine de 20 Minutes, à Metronews ou sur le site Elle.fr, dans des conditions pas toujours transparentes (lire l'article «Ad-journalistes natifs» dans Stratégies n°1775, juin 2014).

En juillet, le Syndicat national des journalistes (SNJ) du groupe Express-Roularta prenait position contre le native advertising, opposé à ses yeux à «un de[s] fondamentaux historiques [du journalisme]: la séparation – absolue, explicite, sans ambiguïté – entre information et publicité».

Même l'Udecam tâtonne concernant ce format. Dans son étude prospective sur le «Paysage média 2020», elle anticipe la disparition du native advertising: «La perte de crédibilité qui en a découlé a définitivement persuadé les éditeurs de ne pas trop s'aventurer sur ce terrain-là. Mais les annonceurs ont continué à produire du contenu à forte valeur ajoutée au sein de supports spécifiques leur appartenant, investissant le modèle gratuit et venant de plus en plus concurrencer les médias consos et magazines.» «Il s'agit d'une étude qui apporte une vision, où l'on fait des paris. On n'a pas encore exprimé de positions fortes sur le native ad, qui est récent en France», tempère Thomas Jamet, de Moxie. Le débat est ouvert, il ne fait sans doute que commencer.

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