Réalité augmentée
En ouvrant le capot de leur solution de filtres en réalité augmentée, Snapchat et Instagram ont offert aux artistes contemporains un nouveau support d’expression. Un véritable phénomène qui profite de la démocratisation de cette nouvelle technologie.

Textures aquatiques ou animales, lumière lunaire, gravité inversée… La réalité augmentée permet d’intégrer au monde physique des éléments qui n’existent pas. «Proposer mes filtres sur les applications est une invitation à pénétrer dans mon univers hybride et fantastique, une réalité parallèle qui défie les lois de la physique. Pour un artiste, c’est très satisfaisant de faire entrer le spectateur à l’intérieur de ses œuvres», confie Inès Marzat, alias Inès Alpha, 3D make-up artiste qui expose une partie de ses œuvres digitales sur Snapchat et Instagram (lire encadré). «De tout temps, les hommes ont aimé se transformer, maquiller leur visage, porter des masques, des perruques… Les filtres offrent des possibilités infinies de mélange d’apparences, de genres, d’inspirations ethniques, d’éléments, etc.», poursuit la jeune artiste. Sur YouTube, déjà, la tendance a toujours été à repousser les limites du maquillage ; la beauté étant l'une des principales catégories de création de contenus. «Sur les réseaux sociaux, la photo de profil est la porte d'entrée vers l’identité d’une personne. De nombreux artistes s’expriment par la transformation du visage», explique Inès Alpha, dont le travail rappelle tour à tour celui de Björk ou de Hayao Miyazaki. Au départ spécialisée dans la postproduction, cette ancienne publicitaire au sein de l’agence La Chose s’est rapidement emparée des dispositifs de réalité augmentée mis à disposition par les plateformes.

Chez Snapchat, c’est en décembre 2017 qu'est inauguré Lens Studio, un logiciel ouvert à tous les utilisateurs, influenceurs ou non, pour créer soi-même des filtres en réalité augmentée. À noter que dans le jargon de Snap, on distingue les «filtres», considérés comme des éléments en deux dimensions ajoutés par-dessus une photo ou une vidéo après les avoir produites, et les «lenses», animations 3D intégrées en temps réel pendant la prise de photo ou le tournage vidéo. «Lens Studio a représenté une grande avancée en matière de démocratisation de la réalité augmentée. Pour la première fois, le grand public a enfin pu s’approprier ce nouveau mode d’expression et de créativité», se réjouit Salomé Jestin, creative strategist chez Snapchat. Depuis l’ouverture du logiciel, plus de 400 000 «lenses» ont été créées, que l’on peut retrouver dans l’onglet Explore de l’appli, accessible directement depuis la page d’accueil. Cette section fonctionne comme une bibliothèque, avec son moteur de recherche par mots-clés, par créateur ou même par marque, permettant de se repérer parmi toutes les créations…

Côté Instagram, cette possibilité n’est ouverte que depuis août dernier, via l’outil Spark AR. Tout utilisateur peut désormais créer ses propres «filtres» et les soumettre à la plateforme. Spark AR est une API ouverte mais se réserve le droit de les approuver ou non en fonction de certaines guidelines très précises fournies par la plateforme. Pour découvrir des filtres sur Instagram, il faut se rendre sur le profil du créateur et cliquer sur l'icône en forme de smiley étoilé, ou bien activer la caméra pour retrouver les filtres des créateurs suivis. Mais Instagram ne nie pas qu’une section «Explorer» pourrait voir le jour prochainement. «La réalité augmentée a longtemps été une technologie réservée aux professionnels et aux grandes marques. Le phénomène Pokemon Go, déjà, avait entamé le travail d’évangélisation autour de cette technologie. La différence avec la création de filtres, c’est que l'utilisateur n'est plus seulement usager, il est créateur. En outre, le volume d’1 milliard d’utilisateurs sur Instagram contribue à cette popularisation», assure Guillaume Thevenin, responsable des partenariats médias et des personnalités publiques chez Instagram.

Des templates prêts à l'emploi

Lens Studio comme Spark AR sont des outils très intuitifs et simples d’utilisation dans la mesure où ils fournissent des templates prêts à l’emploi pour les novices, avec un accès à différentes propositions comme des accessoires à personnaliser, par exemple. Mais ils sont également un terrain de jeu pour les spécialistes (graphistes, développeurs…), puisqu'il est nécessaire de rentrer en profondeur dans le script pour créer des éléments supplémentaires. Côté monétisation, sur Snapchat, les lenses sont commercialisables comme des encarts publicitaires. Mais dans l’un et l’autre modèle, les créations ne sont pas rémunérées comme telles, à la différence de YouTube par exemple qui encourage ses créateurs en les rétribuant en fonction du nombre de vues. Pour vivre de leur art, les créateurs doivent alors se faire approcher par des marques. En février 2019, Dior a été l’une des premières maisons de luxe à lancer son filtre en réalité augmentée sur Instagram. Intitulé «Kalediorscope», il permettait à ses 29 millions d’abonnés d’essayer sa nouvelle paire de lunettes de soleil. Adopté rapidement par de nombreuses influenceuses telles que Camila Coelho, Karlie Kloss ou encore Natalia Vodianova, ce filtre est rapidement devenu une nouvelle tendance auprès des utilisateurs d’Instagram. Durant les trois semaines suivant son lancement, les ventes de lunettes de soleil ont augmenté de 200% selon la marque. Le filtre a généré plus de 5,4 millions d’impressions en deux semaines et 48 millions en 5 mois. «L’important est de rester dans la collaboration artistique, recommande Ines Alpha, qui a travaillé pour NikeDior ou H&M.

Les règles d’or sont les mêmes que pour toute communication sur les réseaux sociaux, à savoir en respecter les codes et la grammaire si particulière. La tendance du moment est par exemple aux filtres à roulettes: un concept interactif et ludique à la manière d'une roue de la fortune qui détermine une carte de tarot, l’animal totem ou la voiture que doit acheter l’utilisateur. Certaines marques se sont déjà emparées de cette tendance, à l’instar de Jacquemus avec le filtre «Which Jacquemus bag are you?». «Grâce à la créativité des utilisateurs et des marques, les filtres sont devenus de véritables espaces d’expression artistique, observe Salomé Jestin. On va aujourd’hui beaucoup plus loin que le masque de chien ou le vomi arc-en-ciel: les filtres ne sont pas seulement un gadget divertissant, ils sont le signe d’une tendance de fond qui voit la réalité augmentée devenir un format comme un autre.»

C’est qui? Andy Picci est un artiste contemporain qui interroge la relation des hommes aux célébrités, aux réseaux sociaux, au selfie, etc. Il s’est notamment fait connaître par une exposition consacrée à la vedette de téléréalité Nabilla, présentée comme sa muse. Sur Instagram, il crée des filtres en forme de mise en abîme qui questionnent le thème même du smartphone, à l’instar de «Diving Content» qui recouvre les yeux de celui qui le teste d’un feed de photo qui défile de manière ininterrompue. Une satire de notre manie de regarder le monde à travers les écrans et la vie d’autrui…

Sa plus belle opé: En partenariat avec l’application de rencontre Tinder, Andy Picci a participé à l’exposition «Futures of Love» aux Magasins Généraux à Paris. Un parcours intitulé «Single Not Sorry» où il a pu révéler sa version de l’amour et du célibat à notre époque.

 

C’est qui? Ses compétences en modélisation 3D, animation, design graphique, illustration numérique et traditionnelle, ont rapidement fait de Clara Bacou une référence sur Snapchat. Elle est désormais une créatrice officielle de l’application et collabore avec de nombreuses marques telles que Netflix, Snapchat, Honor, Uniqlo, Metronomy… Ses créations transportent les utilisateurs dans un monde peuplé de dragons, d’insectes et autres animaux fantastiques aux couleurs arc-en-ciel.

Sa plus belle opé: Snapchat fait appel à Clara Bacou pour créer du contenu pour ses lunettes de réalité augmentée Spectacles, à l’instar de la fameuse lense «Crystal Dragon», qui permet aux utilisateurs d’insérer un magnifique dragon oriental dans leur vidéo.

 

C’est qui? Diplômée en arts appliqués, Inès Marzat s’est d’abord orientée vers la publicité avant de se lancer comme artiste. Passionnée par le maquillage depuis l’enfance, elle se révèle en découvrant les technologies 3D. Le make-up virtuel est donc une évidence. À l’époque, on ne parlait pas de réalité augmentée mais de post-production. Quand Snapchat puis Instagram ouvrent le capot de leur générateur de filtres, la poésie de la jeune femme rencontre immédiatement son public. Son œuvre est tour à tour influencée par les animes japonais, les travaux graphiques de Björk, ou les jeux vidéos Fantasy. 

Sa plus belle opé: À l’occasion des fêtes de fin d’année, Inès Alpha a créé pour Dior une version «augmentée» du maquillage physique «Dior Makeup Holiday 2020» tout en perles et en diamant. Explosif.

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