Si Facebook avait existé en 1914... De cette idée est né un projet remarquable, imaginé par DDB Paris pour le jeune musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux: suivre au jour le jour la vie d'un poilu sur le réseau social, autrement dit raconter l'histoire de la Première Guerre mondiale et intéresser les 15-35 ans en utilisant leur mode de communication.
«DDB a eu un coup de cœur pour notre muséographie dès notre ouverture en 2011 et nous soutient dans une logique de mécénat de compétence, explique Michel Rouger, 37 ans, directeur du musée. Les initiatives de DDB – une campagne presse en 2012 et ce dispositif digital – rencontrent notre démarche en faveur d'un musée ouvert à tous avec des ateliers, du théâtre, des concerts, des expositions, etc. Quant à Facebook, nous avons tout de suite été partants, et le maire de Meaux, Jean-François Coppé, a lui aussi donné un accord immédiat. C'est le média de ma génération et de celle de notre équipe.»
Un poilu criant de vérité
«La question s'est posée de savoir si notre soldat serait un personnage fictif ou pas, poursuit-il. Mais il était déontologiquement difficile d'exploiter le vrai carnet d'un soldat et de lui inventer une famille et des amis.» Un casting de volontaires est alors organisé à l'agence pour donner un visage au poilu Léon Vivien, à sa femme Madeleine, sa mère et ses camarades. Restait à concevoir la trame de ce feuilleton et à en écrire le scénario sous la forme de posts quotidiens échangés entre le soldat et ses proches.
Emmanuel Courteau, directeur artistique, et Jean-François Bouchet, concepteur-rédacteur, vont exploiter les archives du musée pendant quatre mois avec la documentaliste, les conservateurs et le directeur lui-même. L'historien Jean-Pierre Verney, qui a offert les 50 000 objets de sa collection personnelle au musée, a apporté sa contribution à la vérité historique. «Jusqu'en 1916, on disait Allboches, rappelle Michel Rouger. De même, les uniformes bleu-horizon n'arrivent qu'au printemps 1915 pour remplacer le pantalon et le képi rouge garance.»
Il est décidé que Léon Vivien sera instituteur et qu'il créera sa page Facebook le 28 juin 1914, jour de l'assassinat de l'archiduc autrichien François-Joseph. L'opération débutant le 10 avril 1915 (2013), jour de son départ au front. Dix mois de posts agrémentés d'images et d'archives sont déjà en ligne quand la page est ouverte au public, afin que chacun puisse se familiariser avec Léon et ses proches. Du 10 avril au 24 mai 2013, les internautes vont suivre la guerre «en direct», jour après jour, post après post. «Les thèmes évoqués correspondent aux sections du musée», précise Jean-François Bouchet.
Plus de 60 000 fans touchés
Personne n'imagine alors le succès que va rencontrer ce dispositif digital de brand content. «On tablait sur 10 000 fans et puis on a vu le compteur tourner», se souvient le directeur du musée. En 48 heures, la page affiche 20 000 fans, pour finir à plus de 61 000, avec des fans dans 20 pays et notamment au Québec. «Des milliers de commentaires ont été laissés, les gens se sont attachés à Léon, la naissance de son fils a suscité plus de 3 000 “likes”, la nouvelle de sa mort a été partagée près de 500 fois et a donné lieu à 850 commentaires émouvants, s'enthousiasme Jean-Luc Bravi, coprésident de DDB Paris. A partir d'une conférence de presse avec 40 journalistes, cela n'a été que du “earned media”.» «Nous avons eu autant de retombées que pour l'ouverture du musée, avec même des interviews en radio et télévision et une brève dans Grazzia! Le nombre de fans du musée a doublé», se félicite aussi Michel Rouger.
La qualité d'écriture, juste et sensible, de Jean-François Bouchet a touché également les professionnels. DDB, proactive et bénévole sur cette opération, a remporté un Lion d'or et deux d'argent à Cannes en juin dernier. Et obtient le prix spécial du jury du Grand Prix Stratégies du brand content 2013 (ainsi qu'un prix ex æquo dans la catégorie médias sociaux). «Nous récompensons un travail très soigné, très abouti avec une grande profondeur de contenus qui a su intéresser les jeunes en parlant à leurs émotions, à l'instar de la philosophie de Bernbach, l'un des fondateurs de DDB», commente Daniel Fohr, directeur de la création de M&C Saatchi GAD et président du jury.
La suite? Léon Vivien va avoir son livre et devenir un support pour l'Education nationale. Mais c'est le centenaire de la Grande Guerre, l'an prochain, qui mobilise d'ores et déjà... les créatifs.