Le patron de TikTok va essayer de défendre ce jeudi 23 mars sa plateforme, filiale du groupe chinois ByteDance, devant des élus américains qui l'accusent de mettre en danger la sécurité nationale et la santé de ses utilisateurs, et l'ont en partie condamnée d'avance.
Shou Chew va être auditionné par une puissante commission parlementaire, alors que TikTok risque l'interdiction totale aux Etats-Unis. « Laissez-moi vous le dire sans équivoque: ByteDance n'est pas un agent au service de la Chine ou de tout autre pays », prévoit de déclarer le dirigeant, d'après son discours préliminaire publié mercredi sur le site de la Chambre des représentants.
« TikTok va rester une plateforme pour la liberté d'expression et ne sera manipulée par aucun gouvernement », veut-il insister. La pression politique contre le très populaire réseau social est montée en flèche ces derniers mois des deux côtés de l'Atlantique.
La Maison Blanche, la Commission européenne et les gouvernements canadien et britannique ont interdit à leurs fonctionnaires de l'utiliser. Mardi, la BBC a conseillé à son personnel de supprimer TikTok des téléphones professionnels. De nombreux régulateurs soupçonnent l'appli de courtes vidéos divertissantes de donner accès à Pékin aux données des utilisateurs, ce qu'elle a toujours nié.
Aux Etats-Unis, la destruction en février d'un ballon chinois supposé espion a suscité un regain de tensions avec la Chine. Plusieurs projets de loi sont dans les tuyaux pour interdire TikTok, utilisée par 150 millions de personnes tous les mois dans le pays (1 milliard dans le monde). Le poids renforcé au Congrès des républicains risque de compliquer encore plus la donne pour le service.
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La Maison Blanche a laissé entendre que si TikTok restait dans le giron de ByteDance, elle serait interdite. Mais une cession, même si la maison mère était d'accord, serait très compliquée. Le succès de la plateforme tient beaucoup à ses puissants algorithmes de recommandation, et « séparer l'algorithme entre TikTok et ByteDance relève de la chirurgie entre des jumeaux siamois », note l'analyste Dan Ives de Wedbush, pour l'AFP.
TikTok espère encore apaiser les autorités. L'entreprise a déjà dépensé environ 1,5 milliard de dollars pour la mise en place du « Project Texas », qui consiste à n'héberger les données des utilisateurs américains qu'aux Etats-Unis, sur des serveurs du groupe texan Oracle.
« Plus tôt ce mois-ci, nous avons commencé à supprimer toutes les données américaines stockées sur des serveurs qui n'appartiennent pas à Oracle », doit préciser Shou Chew. Grâce à cette filiale ad hoc de TikTok, USDS, « il est impossible pour le gouvernement chinois d'y accéder ou de forcer (l'entreprise) à lui (en) donner l'accès ».
« J'apprécie que M. Chew vienne répondre à des questions devant le Congrès, mais le manque de transparence de TikTok, les obstructions répétées et faits inexacts ont gravement sapé la crédibilité de toute déclaration par des employés de TikTok, y compris M. Chew », a déclaré le sénateur républicain Mark Warner dans un communiqué mercredi.
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Le patron singapourien, ancien étudiant de Harvard, va aussi faire face à des questions sur les responsabilités de TikTok concernant la santé mentale et physique des enfants et adolescents. L'application, comme ses concurrentes, peut entraîner une addiction, des problèmes d'estime de soi ou la participation à des défis dangereux comme « le jeu du foulard » qui encourage les participants à s'asphyxier jusqu'à l'évanouissement.
Des élus craignent aussi que l'application ne serve de cheval de Troie au Parti communiste chinois pour manipuler l'opinion.
Elle participe au contraire au rayonnement culturel des Etats-Unis, assure Shou Chew, d'après son discours. Il y mentionne que les utilisateurs américains représentent 10% de leur base mondiale, mais 25% des visionnages. TikTok et plusieurs associations estiment qu'une interdiction complète - comme en Inde depuis 2020 - relèverait de la censure.
« Si ce n'était pas aussi inquiétant, ce serait hilarant que les élus américains essaient de faire preuve de +fermeté contre la Chine+ en agissant exactement comme le gouvernement chinois », a assené Evan Greer, la directrice de l'ONG Fight for the Future. Elle appelle le Congrès à adopter des lois pour empêcher toutes les plateformes, pas seulement TikTok, de récolter « autant de données personnelles » sur les citoyens.
Du côté des influenceurs, qui dépendent de l'appli pour leurs revenus, la mobilisation s'organise timidement. « Je déteste le dire, mais TikTok est la meilleure (plateforme) », a déclaré la créatrice de contenus @veronicaandthebabyboo.
« Si vous interdisez TikTok, vous détruirez des petites entreprises, vous réduirez au silence des personnes des minorités et de la communauté LGBTQ, vous priverez des gens de leur principal soutien moral », a-t-elle écrit dans une vidéo montrant Veronica, un de ses deux chats qu'elle met en scène.