Du Brésil au Nigeria, de l'Europe à l'Asie, Sam Altman, patron d'OpenAI et créateur de ChatGPT, parcourt le monde pour rassurer sur l'intelligence artificielle et prévenir une régulation trop restrictive, notamment en Europe, d'où il menace de se retirer.

Mercredi 24 mai à Londres, la dixième étape de sa tournée sur cinq continents, Sam Altman, patron d'OpenAI et créateur de ChatGPT, a durci le ton en avertissant qu'OpenAI pourrait « cesser d'opérer » dans l'Union européenne si le futur règlement européen lui imposait trop de contraintes. « Nous essaierons (de nous y conformer) mais il y a des limites techniques à ce qui est possible », a-t-il déclaré à la presse britannique, expliquant avoir « beaucoup » de critiques envers le futur IA Act de l'UE. Ce qui a déclenché jeudi 25 mai la colère du Commissaire européen Thierry Breton.

« Il ne sert à rien de tenter de faire du chantage en clamant qu'en élaborant un cadre clair, l'Europe retarde le déploiement de l'IA générative. Au contraire ! Avec le "Pacte IA" (qui doit précéder un règlement européen sur l'IA, ndlr) que j'ai proposé, nous visons à aider les entreprises dans leur préparation », a-t-il tweeté, accompagnant son message d'une image portant les mots « est-ce une menace ? »

Le patron de Microsoft, Brad Smith, a surenchéri en déclarant que les rédacteurs du texte feraient bien d'écouter « ceux d'entre nous qui en savent peut-être plus sur le domaine technique » et qui voient « ce qui n'est pas susceptible de fonctionner ». « J'ai 35 ans d'expérience à travailler avec l'Union européenne (...) la raison prévaudra » car « la législation est une question de compromis » et « l'IA est tellement importante pour la compétitivité future des entreprises », a-t-il lancé. Le projet inquiète aussi Google, qui a dépêché cette semaine à Bruxelles son directeur général Sundar Pichai. Pour l'instant, face aux contraintes règlementaires, Google a renoncé à déployer son IA Bard dans l'UE.

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Défendre ChatGPT contre des régulations trop contraignantes, tout en affirmant qu'il faut l'encadrer : c'est la position de Sam Altman lors de son « OpenAI Tour », qui l'emmène dans seize métropoles. Au programme, des tête-à-tête avec des chefs d'Etat - dont Emmanuel Macron mardi -, des conférences et un crochet au groupe Bilderberg, le très discret club des dirigeants mondiaux. Cette tournée illustre la stature de gourou mondial de l'IA acquise par Altman, 38 ans, depuis le succès fulgurant de son robot conversationnel, qui a toutefois déclenché une avalanche de craintes: désinformation, manipulation des élections, destruction massive d'emplois voire menace pour l'humanité.

Une réponse d'OpenAI devient urgente: de nombreuses personnalités ont appelé à une pause dans la recherche, l'Italie a suspendu ChatGPT trois semaines pour siphonnage de données personnelles et le G7 a décidé samedi de créer un groupe de travail sur l'IA.

La campagne de séduction a commencé le 16 mai devant des sénateurs américains, Sam Altman surprenant en lançant, en substance, « régulez-moi », et déclarant que son cauchemar était que l'IA fasse « d'importants dommages au monde ». Mais il a aussi assuré que beaucoup d'emplois seraient créés et souligné que trop de régulation nuirait, car « si l'industrie américaine ralentit, la Chine ou quelqu'un d'autre peut progresser plus vite ».

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Le lendemain, le jeune patron s'envolait pour Rio, puis Lagos (Nigeria) et Lisbonne, avant Madrid, Londres, Paris, Varsovie, Munich et de nouveau Paris vendredi, au campus de start-ups Station F. Prochaines étapes: Tel Aviv, Dubaï, New Delhi, Singapour, Jakarta, Séoul, Tokyo et Melbourne. « Au Bilderberg, il faisait un peu peur », a confié un participant, « mais il faisait aussi miroiter la recherche d'un pays où implanter son siège européen ».

A Paris, à Varsovie, à Madrid, il a été reçu avec des égards de chef d'Etat par des dirigeants politiques désireux de saisir cette opportunité économique, mais qui rappelaient aussi la nécessité de l'encadrer. Au Nigeria, il a promis une floraison de start-ups et tenté de restaurer l'image d'OpenAI, qui a eu recours à des travailleurs africains à bas coût pour entraîner son modèle. A Rio, il a espéré que ChatGPT générerait « une amélioration du niveau de vie des gens ». L'accueil a été moins consensuel à Londres, où une poignée de contestataires ont manifesté. « Nous ne devrions pas permettre aux multimillionnaires de la Silicon Valley avec un complexe de Messie de décider ce que nous voulons », a déclaré un étudiant.