Crise
Comme le reste de l’économie mondiale, le secteur de la communication tremble sur ses bases depuis l’arrivée en France de l’épidémie. Examen approfondi de l’état de santé du marché.

Annulations d’événements en cascade, gels ou reports de campagnes publicitaires, communication sanitaire d’urgence et remise en cause des investissements médias, adaptation managériale… L’épidémie de coronavirus et le krach boursier du 9 mars mettent ses acteurs en état d’alerte. Signes de la contagion galopante, la mise en quatorzaine du ministre de la Culture Franck Riester et la présence de plus en plus remarquée à la télé d’Olivier Véran, ministre de la Santé. « Il n’y a pas de -panique, il y a une communication très réussie du gouvernement sur la maladie, et des médias qui ont fait venir des médecins, souligne Véronique Reille-Soult, CEO de Dentsu Consulting, qui analyse les réseaux sociaux. Mais depuis une semaine, il y a une crainte des conséquences : vais-je être payé, que fait-on s’il n’y a plus de produits, que se passe-t-il en cas de fermeture du métro ou de confinement… ? C’est une inquiétude sourde qui monte. » Diagnostic au scalpel.

  • L’événementiel dans un jeu de dominos

Le 12 février, le Mobile World Congress de Barcelone est le premier d’une longue liste d’événements annulés ou reportés (MIPTV, One to One Monaco…). Le manque à gagner est estimé à près de 500 millions d’euros. Tous les pans de l’activité sont touchés : salons, foires, congrès, concerts, festivals, événements sportifs, séminaires, conventions, incentives, etc. « Une catastrophe », constate Bertrand Biard, président de Lévénement, association des agences événementielles. Si les petites entreprises sont les plus fragiles, aucune n’est épargnée. « Nous prévoyons une baisse d’activité en France de 25 à 30 % sur l’année », indique Cyril de Froissard, directeur général du groupe événementiel Auditoire.

« Il y a au moins 70 % d’annulations sur les événements prévus en mars-avril, et ce sera sans doute 100 % », table Bertrand Biard, sachant que « 1 000 » seraient organisés chaque jour, à plus de cinquante personnes. D’un autre côté, les rassemblements de plus de 5 000 participants en lieu confiné ont été interdits le 29 février ; ceux de plus de 1 000, le 8 mars. Dans les salons maintenus, des précautions sont prises. GL events et Viparis expliquent mettre à disposition des gels hydroalcooliques ou communiquer les consignes sanitaires.

Cette situation aura un impact financier. Selon une étude EY, les événements d’entreprises et institutions ont occasionné 32 milliards d’euros de retombées économiques en 2018. Du loueur de salle au traiteur, toute la chaîne est concernée. « 60 % du chiffre d’affaires des traiteurs est impacté pour mars et avril », illustre-t-on à l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie). « Notre chiffre d’affaires sera touché à hauteur de 10 à 15 millions en 2020 [sur 75 millions en France en 2019] », pronostique Cyril de Froissard chez Auditoire. Au total, 335 000 emplois seraient menacés.

Toute la question est de savoir qui paye. Agences, clients, fournisseurs ? Pour un événement annulé, des frais ont été engagés, des heures de travail abattues. « Il y a un différentiel entre réalisé et engagé », appuie le patron de Lévénement, qui en appelle à la « solidarité » des annonceurs. Par ailleurs, depuis janvier, plus aucun « petit » événement ne serait assuré contre le risque d’épidémie, car après que l’OMS a classé comme tel le virus, ce type de disposition n’était plus proposé. De leur côté, les gros salons, lorsqu’ils fonctionnent autour d’accords de long terme et sont reconduits chaque année, ont davantage prévu le coup. Quoi qu’il en soit, un risque pèse sur la trésorerie des entreprises.

  • Des médias touchés mais pas coulés

Les médias sont aussi atteints dans leurs événements : report de l’Open House de JCDecaux, de Canneséries, SériesMania, des Assises du journalisme… Plus tardif, du 11 au 13 juin, VivaTech, coorganisé par Les Echos-Le Parisien et Publicis, est maintenu.

Depuis début mars, la couverture du coronavirus, mesurée par Kantar, dépasse chaque jour les 2 000 UBM (unité de bruit médiatique), avec un pic à 2 453 le 5 mars où les Français ont en été touchés plus de 24 fois, un record depuis le 1er janvier. En comparaison, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier avait généré 1 242 UBM. « On a beaucoup parlé du coronavirus sur un ton un peu anxiogène tant qu’il n’était pas en France. Depuis, le discours est beaucoup plus dans la retenue et orienté vers des choses concrètes, relève Eric Giuily, président de l’agence Clai. Ce qu’on ne voit pas beaucoup, ce sont les malades et leur famille. On ne cherche pas à dramatiser. »

L’impact publicitaire se fait ressentir. « Il y a eu des investissements annulés ou reportés, je ne serais pas surpris que l’impact soit de −3 % ou −4 % », estime Thierry Jadot, CEO de Dentsu Aegis Media, en rappelant qu’il y a des réallocations budgétaires « par solidarité » de marques qui souffrent en Asie – dans le luxe par exemple –, et des enjeux locaux liés à la baisse des déplacements, de la fréquentation et de la consommation. Sans compter les difficultés d’approvisionnement par exemple pour Apple. « En dehors du tourisme qui a coupé ses budgets il y a trois semaines, les autres secteurs gèrent au jour le jour, sans réduction d’investissements média », assure Emmanuel Jacquet, directeur général de My Media. « On s’attend à une logique de réduction dans les semaines à venir, du fait de la baisse d’activité, mais ce n’est pas ce qu’il se passe encore. La priorité est davantage à savoir ce qu’on va faire de ses collaborateurs que de savoir si on coupe ses budgets. » « Il y a une tendance à geler, -suspendre ou reporter les activités, mais il n’y a pas de décrochage ou d‘annulation majeure brutale », confirme Corinne Mrejen, directrice générale des Echos-Le Parisien, qui reconnaît 5 à 10 % d’annulation ou de reports pour l’instant.

JCDecaux est très touché du fait de son exposition en Chine (lire interview page 18) et dans les aéroports. Mais le groupe lorgne déjà des « opportunités » d’acquisition du côté de Clear Media en Chine. Du côté des régies TV, plusieurs campagnes disparaissent des radars, notamment dans le tourisme-voyage, mais difficile de savoir combien. « Le taux de remplissage est bon », affirme-t-on à M6 Publicité.

Quoi qu’il en soit, les habitudes changent dans les programmes. Comme Téléfoot et C’est Canteloup sur TF1, Stade 2 a été diffusée le 8 mars sans public sur France 3. Ce sera aussi le cas de tous les matchs de Ligue 1 et 2 sur Canal et BeIn jusqu’au 15 avril. Il en ira de même pour le Sidaction sur France 2 le 4 avril et dont la formule va être repensée. France Télévisions a annulé dès le 4 mars tous ses événements. Côté audiences, l’information et les émissions spéciales consacrées au virus attirent. La spéciale de Michel Cymes, le 3 mars sur France 2, a rassemblé 2,9 millions de téléspectateurs (14,5 % de PDA). 

En revanche, la soirée consacrée par BFMTV au coronavirus le lendemain n’a rassemblé que 275 000 téléspectateurs (1,4% de PDA). Une contre-performance qui doit sans doute beaucoup au débat entre les principaux candidats à la mairie de Paris que diffusait ce soir-là LCI et qui a été regardé par 373 000 téléspectateurs (2,1% de PDA). Quid des campagnes de prévention assurées par le gouvernement sur les antennes publiques ? « Radio France dispose d’un protocole encadré de diffusion de messages d’alerte. Nous avons donc été réquisitionné par le ministère de la santé pour diffuser six messages par jour sur nos antennes, à proximité des tranches d’info. Il n’y a pas de rétribution car cela fait partie de nos missions de service public », rappelle Pascal Girodias, directeur de Radio France Publicité.

  • Des consommateurs apeurés

Affectés dans leur moral et leur confiance, les Français ont modifié leur comportement de consommation ces dernières semaines. L’institut Nielsen relève des hausses sur l’e-commerce, les consommateurs évitant toute promiscuité. Durant la semaine du 24 février, la grande distribution a affiché de fortes croissances de son chiffre d’affaires dans l’Hexagone (+6,2 %), notamment le week-end du 29 février et du 1er mars, avec un CA en hausse de 21 % pour le dimanche. Mais le plus spectaculaire se situe sur l’e-commerce (comme en Italie la semaine précédente) où le drive a grimpé de 13 % et la livraison à domicile de 74 % vs l’année précédente. 

Nielsen relève de grandes disparités géographiques, et évidemment, les régions les plus touchées par le virus ont eu l’évolution la plus grande. La zone de chalandise autour de Creil, par exemple, a vu son chiffre d’affaires progresser de 11 %, dont 103 % pour le rayon pâtes. D’autres rayons ont été touchés en Île-de-France : les gels désinfectants (+136 %), mais aussi les légumes secs qui ont progressé de 111 %. Ces disparités géographiques modifient les plans logistiques de la grande distribution, contrainte à vider certaines zones pour en alimenter d’autres. Cela pourrait avoir un impact sur les opérations spéciales en magasin, les plans médias, et les investissements prospectus. Autre symbole de ce  « chaos d’achat », à La Balme-de-Sillingy, un des premiers foyers de contamination du coronavirus en Haute-Savoie, les commerçants qui reçoivent des clients des communes alentour ont vu leur activité baisser de 40 à 90 % pour certains. Tous ont dénoncé dans un message sur les réseaux sociaux « la pression médiatique et tous les échanges autour du coronavirus » effrayant les consommateurs.

  • Les agences au milieu du gué

Pour les agences qui ont essaimé en Asie, c’est l’heure des décisions drastiques. Mazarine, spécialisée dans le luxe, a réagi avec célérité : « Nos agences en Chine ont été fermées entre le 10 et le 24 février, pour protéger la santé de nos collaborateurs », explique Paul-Emmanuel Reiffers, président de Mazarine. « Nous avons été une des toutes premières agences à revenir aussi vite à la normale. Notre activité n’a donc pas été affectée, puisque Mazarine Asia Pacific avait aussi investi dans une nouvelle infrastructure informatique », assure Paul-Emmanuel Reiffers, selon qui « aucun projet à ce jour n’a été annulé ou reporté ».

Feng Huang, président de FF Shanghai, affirme que « cette période a été l’occasion de voir de nombreux secteurs, tels que les équipements de la maison, les cosmétiques, le wellness [bien-être] ou le gaming, présenter une très forte croissance sur l’e-commerce chinois. FF Shanghai a continué de pitcher et a remporté des budgets comme Danone Mizone et le budget Chine de la marque australienne Aesop… » L’agence a confié le suivi de certaines productions à FF Los Angeles. « La solidarité entre “FFers” est au rendez-vous. Nous recevons des messages de soutien tous les jours et chaque bureau a organisé une livraison de masques. Ces attentions nous ont beaucoup touchés et galvanisés », témoigne Feng Huang, qui rappelle qu’en chinois, « l’idéogramme du mot crise est aussi composé du terme “opportunité” ».

Augustin Missoffe, directeur Asie-Pacifique de Sopexa (Hopscotch), constate quant à lui qu’« il n’y a aucun impact business ». « Le début d’année correspond à des réponses aux appels d’offres donc nous travaillons de toute façon beaucoup en interne », explique-t-il. Pour lui, « le coronavirus va redistribuer les cartes. »

  • Les marques cherchent à rebondir

Au Club Med, qui fait partie des premières industries touchées par l’épidémie de Covid-19, « aucun cas de coronavirus, ni chez les clients, ni chez nos salariés », dit-on le 9 mars. Tous les « villages » asiatiques ont été fermés, tout comme les « resorts » du nord de l’Italie : « Nous avons pris la décision de réorienter nos clients, par exemple vers les “villages” des Alpes françaises », souligne Thierry Orsoni, directeur de la communication et des relations institutionnelles. Difficulté, pour le géant du club de vacances : « Nous sommes une marque internationale, nous nous adressons aux Français, mais aussi aux Israéliens, aux Britanniques, aux Allemands. Tout cela rend le mécano complexe à gérer. » Le Club a d’ores et déjà ouvert ses réservations pour l’hiver 2021. « Notre business est un business d’“early bookers ”, explique Aline Ducret, directrice du marketing Europe-Afrique du Club Med. Nous insistons sur la générosité des annulations, possibles 90 jours avant la fin du séjour. »

À la SNCF, tous les billets TGV InOui, Ouigo et Intercités sont éligibles au remboursement et à l’échange jusqu’à fin avril. « Dans un contexte de tension, nous voulons proposer de la sérénité », indique Julien Féré, directeur de la communication interne et externe de Voyages à la SNCF. Côté publicité, « nous maintenons nos campagnes car 100 % des trains circulent à date », ajoute-t-il, pendant que des vidéos sur les mesures prises sont en préparation pour les réseaux sociaux.

Chez Air France, dont la portée est bien plus internationale, on ne commente « pas particulièrement à ce stade », alors que le nombre de passagers transportés vers l’Asie a reculé de 25 % en février et que 3 600 vols seront annulés en mars. Hyperexposé, le secteur aérien compte sa première victime : le britannique Flybe, disparu le 4 mars.

En Chine, des marques comme Magimix digitalisent leurs rendez-vous et organisent des live streams sur leurs robots cuiseurs. « Les gens sortent moins au restaurant donc ils cuisinent davantage », précise Augustin Missoffe, chez Sopexa Asie-Pacifique. « Comme en Europe ou aux États-Unis, les secteurs les plus touchés sont l’hôtellerie, la restauration, les voyages et bien sûr l’événementiel, observe Feng Huang, chez FF Shanghai. Mais cela n’empêche pas les Chinois de consommer massivement en ligne ! » Alors que l’éducation en ligne pourrait bondir de 50 % en 2020, le coronavirus accélérerait la numérisation d’une Chine déjà bien connectée.

  • Un management à distance

Ce n’est pas seulement la fin des bises et des poignées de mains, ou la généralisation des calls qui gagnent les relations dans l’entreprise.  La pandémie est d’abord synonyme de communication de crise en interne dans de nombreuses entreprises mondialisées. A commencer par le Club Med, très présent en Chine et dont le propriétaire Fosun est chinois. Rompu à l’exercice – avec un « risk manager » pour donner l’alerte – le groupe a été confronté dès janvier à la crise du coronavirus. « La différence par rapport au SRAS et au H1N1, c'est que les moyens de communication se sont développés. Aussi bien les transports de personnes que les outils qui favorisent la circulation de rumeurs, ce qui nous oblige à un monitoring serré des réseaux sociaux », constate Thierry Orsoni.  Teamwork de Microsoft ou Workplace sont aussi mobilisés en interne pour répliquer.

Le Covid19 réactive aussi le télé travail, après la grève des transports. Selon une étude de Malakoff Humanis, dévoilée le 11 mars, 27% des entreprises déclarent avoir incité leurs employés (dont le métier le permet) à faire du télétravail en cas d’épidémie. Et 36% des salariés estiment que leur entreprise les ont invités à télétravailler afin d’éviter toute contamination ou arrêts de travail. « Pour les salariés, le télé travail fait baisser la fatigue, permet de faire des économies de transport et de concilier vie pro et perso, souligne Anne-Sophie Godon, directrice de l’innovation, il est bon pour la santé, l’autonomie et l’engagement, et les chefs d’entreprise y voient un bénéfice d’attraction, de productivité et de performance ». Pour elle, il se heurte encore à un retard des PME qui n’ont pas tous les outils informatiques requis. Mais ce peut être l’occasion de le rattraper par une digitalisation accélérée. « La France est un pays très résilient », assure Thierry Jadot.

 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.