Dossier Retail

Comment faire revenir les consommateurs en magasin après des mois de crise sanitaire ? Face à l’essor de l’e-commerce, les retailers travaillent à « réenchanter » l’expérience en point de vente et apportent un éclairage sur les grandes tendances en la matière.

« Quelle est la raison de se déplacer en magasin si, depuis son canapé, on peut obtenir le même résultat, voire un meilleur résultat en termes de prix ? » Après des mois de pandémie, qui ont nettement favorisé le développement de l’e-commerce, Christophe Levyfve, patron du groupe Becoming, s’interroge. Mais selon le baromètre Worldpanel 2021 de Kantar, le fait de pouvoir toucher et voir le produit « en vrai » justifie le déplacement. La retail expérience gagne en importance.

Les experts du retail s’accordent à dire que le magasin est en train de passer d’une fonction purement transactionnelle à une fonction plus relationnelle, voire émotionnelle. Les enseignes « ne doivent plus se concentrer sur le chiffre d’affaires moyen au mètre carré », estime Rémi Le Druillenec, cofondateur et directeur général d’Héroïne, agence spécialisée dans le retail design. « Le rôle du magasin est le recrutement de la clientèle, en créant de l’adhérence à la marque par le biais d’expériences qui génèrent de l’affinité », résume Dominique Bonnafoux, directrice stratégie de Landor & Fitch.

Pour autant, la « retail expérience » ne se limite pas aux décors pour Instagram, aux opérations événementielles, à l’instar de la diffusion d’un concert de Lady Gaga dans les centres commerciaux Westfield, ni aux animations diverses comme l’installation d’un mur d’escalade dans un coin de galerie marchande. Selon Mathieu Sakkas, managing director de l’agence Dragon Rouge, le modèle d’hybridation entre offres commerciales et offres liées aux loisirs est un bon début de réflexion mais ce n’est pas la formule qui va « assurer le succès pérenne d’un lieu dédié au commerce ». Lui promeut le design thinking fondé sur la sociogéographie des zones de chalandise. « La retail expérience, c’est Nike à Santa Monica, qui adapte sa marchandise à la population environnante », complète Pascal Malotti, directeur de la stratégie de Valtech France.

Parcs à thème

Cette stratégie va à rebours d’une mondialisation qui a eu tendance à uniformiser les concepts marchands et les offres. « Souvent, les lieux ont été définis par un geste architectural. Or ce n’est pas la beauté d’un lieu qui crée son business model. Les marques des centres commerciaux se sont lissées, étiolées, effacées », déplore Mathieu Sakkas, qui préconise un retour à la créativité. En Ukraine par exemple, la chaîne de supermarchés Silpo déploie depuis 2014 une stratégie qui suit la logique de parcs à thème, avec près d’une centaine de supermarchés décorés. Dans un supermarché de la région de Kiev, les clients sont ainsi immergés dans l’univers du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.

Autre voie possible, la valorisation du local. « Mettre un visage sur un produit, être conseillé, ça apporte de la confiance, en particulier dans les secteurs où le client recherche ça, comme l’agroalimentaire », analyse Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson Paris. D’où le succès d’une enseigne comme Grand Frais, avec sa stratégie de « marché couvert » qui lui a permis d’entrer dans le top 10 des enseignes préférées des Français en 2021.

Le lieu de la « preuve »

À l’heure des communications RSE, le point de vente est aussi désormais le lieu de la « preuve », au-delà de la traditionnelle incarnation de l’univers de marque. Le lieu physique permet de réaffirmer des engagements, un savoir-faire, et réassure les clients sur le partage de valeurs communes. C’est, par exemple, le cas du Slip français, qui revendique le « made in France » en affichant dans ses magasins la carte de ses lieux de production. C’est aussi toutes les initiatives durables qui ont éclos ces dernières années, à l’instar d’Aigle et de son offre d’upcycling ou encore de Darty et de son abonnement pour la réparation. L’ensemble de ces préceptes de la retail expérience, centrés sur la relocalisation et la consommation responsable, sont réunis dans le nouveau concept « Plaisir de vivre à la française » de Monoprix. Celui-ci a donné lieu à un premier magasin ouvert en septembre 2020 dans le quartier parisien de Montparnasse, et à un deuxième dans la banlieue chic de Lille, à Marcq-en-Barœul, en décembre 2021.

Des études ethnographiques ont mis en lumière les motivations et les besoins des clients de l’enseigne. Parmi eux, une jeune fille disait traverser le Monoprix de son quartier en sortant de la piscine juste pour le plaisir de faire du « lèche-vitrine ». Une idée de la déambulation qui reste essentielle : « Plus on augmente le temps d’un client qui flâne, plus il va dépenser, estime Dominique Bonnafoux de Landor & Fitch. Dans ce cadre, le produit devient un memento de l’expérience vécue. » « Les grands magasins et très grands magasins se morcellent au profit de petits espaces », remarque pour sa part Virgile Brodziak, de Wunderman Thompson. Pour Philippe de Mareilhac, CEO de Market Value, une expérience retail réussie est celle qui sait s’adapter au visiteur, si versatile, qui oscille entre besoin d’efficacité et envie de découvertes.

À ce sujet, Dominique Bonnafoux cite en exemple l’enseigne américaine Walmart qui a repensé sa navigation en magasin. Désormais, Walmart « ressemble plus à un aéroport qu’à un supermarché, avec des rayons abaissés pour que la navigation soit plus claire. Une application permet de trouver facilement un produit spécifique dans l’immensité du lieu ».

Place publique

La configuration des lieux et le parcours client ont aussi été repensés par Monoprix. L’un des marqueurs forts de son nouveau concept est la « place publique », un lieu de vie de 100 m2 au cœur du magasin. « Cette place n’a pas un rôle marchand mais plutôt une fonction pédagogique car elle a vocation à donner la parole à des associations », développe Maguelone Paré-Harroch, directrice concept et innovation de l’enseigne. L’intention de Monoprix est aussi « d’aider les petits faiseurs » et les marques du cru avec l’installation d’une « échoppe ». Ses deux nouveaux magasins regorgent de nouveautés : stands de restauration, rayons de vracs alimentaires et ménagers issus de circuits courts et de grandes marques (au total, 53 références de vrac parmi lesquelles Michel et Augustin, Barilla, Starwax…) ou encore une offre de seconde main en ameublement, décoration et mode.

Monoprix enrobe l’acte d’achat avec pléthore de services comme « Je m’appelle reviens », un système de prêt gratuit de petit électroménager (appareils à raclette, perceuses…) qui sera déployé à l’ensemble du parc en 2022. Parmi les autres innovations, des « salons d’essayage connectés » grâce auxquels il est possible de connaître la disponibilité d’un vêtement ou encore des « chariots connectés », qui permettent de planifier la livraison à domicile de leur contenu. En résumé, l’enseigne ne veut plus « seulement proposer des jolis mugs et des jolis coussins », dixit Maguelone Paré-Harroch, mais avoir un rôle de facilitateur dans le quotidien de ses clients. L’objectif est aussi de faire valoir « l’idée qu’il se passe toujours quelque chose en magasin, qu’il y a un supplément d’âme ». Pour Mathieu Sakkas de Dragon Rouge, cela rejoint l’idéal de la retail expérience qui « transcende les usages, les heures et les saisons ».

Une théorie mise en application au « Garage », un lieu évolutif où s’est installé le groupe Becoming en décembre 2020, sur 3 800 m2 à Lille, à la fois salon d’exposition, centre commercial, bureaux d’entreprise et lieu de restauration. D’un jour à l’autre, le lieu est en mouvement et se transforme comme un opéra grâce à une équipe de régisseurs et des éléments sur roulettes. Ce modèle conceptuel, qui met l’accent sur l’expérience, au travers d’ateliers notamment, vient de signer une alliance avec Bouygues et le promoteur immobilier Linkcity. Christophe Levyfve espère plus d’une vingtaine d’ouvertures en France d’ici à sept ans.

Ligne éditoriale

Chaque mois, une thématique est dévoilée sur Instagram (comme « aimer », « étinceler », « se ressourcer ») et s’accompagne d’une sélection pointue de marques comme Kiabi, Stabilo ou Tesla, et de petites DNVB [digital native vertical brand]. « Notre magasin est comme un magazine avec une ligne éditoriale centrée sur l’innovation et dont le contenu serait sans cesse revisité », explique Christophe Levyfve. Cette transformation de la marque en média est l’autre grande tendance de la retail expérience. « C’est ce que propose Apple avec ses formations pour bien utiliser la caméra de son iPhone », ajoute Pascal Malotti. Cela permet de fédérer une communauté autour du produit, une stratégie qui va de pair avec l’enjeu actuel d’omnicanalité (continuum du parcours client entre le digital et le monde physique). La retail expérience n’a pas fini de se renouveler.

 

La retail expérience gagne le digital

Certaines expériences retail sont pensées avant tout dans le cadre de stratégies digitales. Ainsi, le « social retail » se présente comme l’arme de séduction de la Gen Z. C’est tout l’intérêt des stores éphémères qui permettent aux marques de provoquer l’événement en étant présentes dans des quartiers qui peuvent être avantageux en termes d’image ou de trafic. Ainsi, Mango a ouvert en 2021, dans plusieurs villes d’Espagne, des pop-up stores à destination des adolescentes, avec mise à disposition d’un studio d’enregistrement pour publier des contenus sur TikTok. Depuis le début de la pandémie, plusieurs marques ont aussi créé leur boutique virtuelle, à l’instar de Clarins, dont le site web permet de visiter son nouveau concept de magasin. Autre fait marquant du « virtual retail », la digitalisation des expériences en magasin, à l'instar du flagship de Lancôme sur les Champs Élysées, qui propose une solution « phygitale » pour le diagnostic de la peau.

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