Événement

Depuis son annonce, il y a un an, jusqu’à son adoption à coup de 49-3, la réforme des retraites cristallise les mécontentements dans l’opinion publique. Inventaire d’un parcours semé d’incohérences en termes de communication.

Le Conseil constitutionnel dira, le 14 avril, si la réforme des retraites est acceptable du point de vue du droit. Ou si elle doit être amendée, voire invalidée. En attendant, le pouvoir exécutif a multiplié les erreurs de « com ». Stratégies en a repéré sept avec l’aide de six professionnels.

1. Un reniement originel

Faute originelle de la réforme des retraites, elle est entachée des « contradictions » de Macron, observe Arnaud Mercier, professeur à l’Institut français de presse (Paris II). Par rapport à 2019, où il qualifiait le relèvement de l’âge légal à 64 ans d’« hypocrite » (dès lors que la moitié des gens n’ont plus de travail à 55 ans), le chef de l’État ne parvient pas à faire passer la justification d’un changement de position, même s’il déclare que l’époque a changé, et que l’annonce du recul de l’âge légal intervient au cours de sa campagne après le covid et le début de la guerre en Ukraine.

Mais le bien-fondé de la réforme est d’abord présenté sous l’angle des économies et des marges qu’elle dégagera pour baisser l’impôt sur les sociétés, par exemple, avant de devenir plus classiquement ce qui permet de sauver notre système par répartition. Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, estime qu’il y a eu deux messages, entre dégager des marges de manœuvre budgétaires en septembre-octobre, et sauver le système des retraites le 31 décembre. « Il est normal que l’opinion soit circonspecte et que s’insinue le sentiment du mensonge et de la tromperie », dit-il. « À la différence de la réforme Fillon-Woerth sous Sarkozy, en 2010, où tout avait été orchestré sous le prisme du déficit et de l’endettement, celle de 2023 est le produit de revirements. Il n’y a jamais eu de clarification sur le changement de pied, on a été dans l’oscillation entre amoindrir la charge financière et sauver le système des retraites », confirme l’ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée, Gaspard Gantzer.

Pour Philippe Moreau Chevrolet, fondateur et CEO de MCBG Conseil, l’erreur a été de ne pas reprendre le projet de système universel de 2019 qui avaient été interrompu par le covid. Un agenda décalé qui retient aussi l’attention de Julien Vaulpré, DG associé de Taddéo : « Le sujet de la réforme est arrivé à l’automne alors qu’il avait déjà été initié et qu’il était déjà usé politiquement », observe-t-il. Ce à quoi il faut ajouter, selon lui, des atermoiements sur la méthode entre Macron favorable au 49-3 et Borne, et Bayrou qui voulait en passer par le projet de loi sur la sécurité sociale.

2. Des contraintes non assumées

Avec 3 000 milliards d’euros de dettes, la contrainte aurait pu être comprise à l’aune du « Quoi qu’il en coûte ». D’autant que l’Allemagne, qui détermine les aides de la Banque centrale européenne, demande des réformes structurelles, dont le report de l’âge légal fait partie : « Cela rapporte le double par rapport aux années de cotisation », rappelle Valérie Lecasble, présidente de H&K Stratégies.

« Mais on n’a pas posé le diagnostic », estime Julien Vaulpré. Chaque argument sur la nécessité de réformer le système est réfuté par les experts du Conseil d’orientation des retraites [COR] qui estimaient encore en 2021 que la trajectoire était « maîtrisée ». Le COR ? « Ça se réécrit dans le bureau du ministre, sourit l’associé fondateur de Taddeo, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, en notant que Macron a continué à miser sur le logiciel sarkozyste du “travailler plus pour gagner plus”. Laurent Berger a su capter que le rapport au travail a changé. Plus personne n’y croit au “travailler plus” depuis le télétravail. Pas même moi. »

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Résultat, comme le note Frédéric Dabi, jamais Macron ne pourra profiter d’une moitié de l’opinion qui estimerait sa réforme « raisonnable », comme en 2010.

3. Des éléments de langage qui font flop

Autre erreur, celle d’avoir tiré trop tôt la cartouche de l’abaissement de 65 à 64 ans. « Ils n’avaient ensuite plus rien à donner », note Valérie Lecasble. Au contraire, l’âge légal est devenu un symbole d’injustice, malgré les concessions faites à LR sur les débuts de carrière avant 21 ans

L’argument des 1 200 euros minimum pour une carrière complète au Smic fait aussi un bide, tout comme l’idée d’une réforme favorable aux femmes. Philippe Moreau Chevrolet y voit « des éléments de langage faits à la hâte, pas testés et qui sont requalifiés en mensonge car on se rend vite compte qu’ils ne tiennent pas ». Pour lui, « on a sous-estimé l’intelligence collective, on n’avait pas anticipé que le pays débattrait aussi fort en avril. »

Cela devient un « mensonge subi », selon Gaspard Gantzer qui y voit « une sorte d’amateurisme ». Pour Arnaud Mercier, « cela crée encore plus d’acrimonie car les gens ont l’impression de se faire avoir. Et après l’épisode des 1 200 euros, à l’instar de Léa Salamé, certains journalistes se sont sentis floués et ont été d’autant plus critiques ». « On a installé un sentiment très puissant d’insincérité », estime Julien Vaulpré.

La mobilisation des ministres venus du PS est aussi malvenue. « Projet juste », selon Élisabeth Borne, ou carrément « de gauche », selon Olivier Dussopt, la réforme des retraites ne passe toujours pas. « Il y a un changement de narratif permanent, on va trop loin dans la promesse en parlant de réforme juste », tacle Julien Vaulpré. « C’est un peu 1984, où les mots sont antithétiques, ajoute Frédéric Dabi, avec une courbe antagoniste entre la communication et la perception des Français. » Un tiers seulement trouve le recul de deux ans acceptable contre 53 % en 2010 (de 60 à 62 ans). Et 78 % des actifs rejettent la réforme.

Enfin, le message de Macron – « si les gens ne voulaient pas des 64 ans, il ne fallait pas voter pour moi » - cogne avec ses déclarations antérieures sur le fait qu’il devait son élection à des gens qui n’avaient pas voté pour son programme. Et ce n’est pas Frédéric Michel, le gourou de la com recruté à l'Elysée pour apporter un éclairage international et qui fait dire qu’il n’y a pas de crise politique, qui arrange les choses : Macron donne l’impression d’être dans « le déni », selon Philippe Moreau Chevrolet. Entre-temps, les Français lisent des explications abondantes dans les médias, font fonctionner les simulateurs de retraite… « Plus le gouvernement faisait preuve de pédagogie, plus les gens étaient réticents car ils savaient à quelle sauce ils allaient être mangés », constate Arnaud Mercier.

4. Le mésusage de la carte Borne

La locataire de Matignon Élisabeth Borne se retrouve à assumer un 49-3 qui transforme la crise sociale en crise politique voire « démocratique », selon les oppositions. Or elle était là pour trouver une majorité avec les LR, dont beaucoup ont des intérêts locaux et ignorent les consignes de vote. « Les gens ont l’impression de se faire avoir une deuxième fois, cette colère est encore plus forte que la première, alors même que le 49-3 a été utilisé 28 fois par Michel Rocard », rappelle Valérie Lecasble. Mais c’était, il est vrai, pour faire passer des réformes progressistes.

Macron se retrouve désormais donc dans l’obligation de répondre à une Première ministre qui appelle à l’apaisement et à « redonner du sens et du souffle à l’action ». L’Élysée répond que le cap a été donné le 22 mars, lors de l’interview du 13h du président, et demande à Élisabeth Borne de travailler à une « feuille de route » après qu’elle a reçu les syndicats. Le couple de l’exécutif paraît plus désuni que jamais.

« Macron a semblé être dans une forme d’évitement, relève Gaspard Gantzer, il a envoyé Élisabeth Borne qui n’est pas très bonne dans les médias et n’a aucune légitimité politique ». Julien Vaulpré n’est pas plus tendre : « Borne est rigide comme Dussopt est faible et un peu vert. »

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5. Pas de réseau d’alliés

Face à un front uni des syndicats, le pouvoir est seul, ou presque. Il n’a pas d’allié. « Ni syndicalistes, ni partis, ni politologues ni experts », pointe Gaspard Gantzer, qui enfonce le clou : « Même le Medef estime que la réforme est mal faite et mauvaise ; avec des amis comme ça, vous n’avez pas besoin d’ennemis ». D’autres signes ? L'écrivain Jacques Attali ou le député Charles de Courson appellent au retrait du texte. « L’erreur majeure de Macron est de ne pas avoir reçu les syndicats, affirme Valérie Lecasble. On ne dit pas non à ce type de demandes. Il y a là un manque d’expérience. » D’autant que Laurent Berger (CFDT), qui a été contraint lors de son dernier congrès par ses adhérents à ne rien céder sur l’âge légal, pourrait être un interlocuteur. « Mais les relations avec Macron sont exécrables », ajoute-t-elle.

6. Pas de vision globale

La communication sur les retraites part aussi dans tous les sens. Valérie Lecasble constate d’abord qu’il aurait fallu faire un « package avec le sens du travail, l’augmentation des burn-out et l’inactivité des seniors ». Au contraire, l’approche apparaît plus technique qu’humaine. « On demandait un souffle, une vision, voir comment on embarquait les gens. Au lieu de cela, on a une réforme au ras des pâquerettes dont la seule chose que les gens ont retenue, c’est le recul à 64 ans de l’âge légal », poursuit-elle.

C’est aussi la réforme où chacun tire la couverture à soi. Macron est dans Pif, Marlène Schiappa dans Playboy, et Olivier Dussopt dans Têtu… pendant que Gérald Darmanin remet en cause les subventions de la Ligue des droits de l’homme pour creuser encore son image autoritaire. Quid de l’autorité gouvernementale ou du sens du collectif ? « Depuis le départ de Clément Léonarduzzi, il n’y a plus de pilote dans la communication de l’exécutif. Comme ce n’est pas géré et qu’on est dans une période de crise extrême, Macron fait tout tout seul et donc pas mal d’erreurs », assène Philippe Moreau Chevrolet.

7. Des manœuvres de diversion

Alors que le débat sur la fin de vie a été avancé, Macron s’est ingénié à présenter le 30 mars les 53 mesures de son plan sur l’eau avant de partir en Chine, puis aux Pays Bas. Las, le 13 avril se tiendra la douzième journée de mobilisation. « Macron dit tellement qu’il faut passer à autre chose que ses adversaires refusent de lui donner le point, tout le monde est suspendu à la décision du Conseil constitutionnel », souligne Arnaud Mercier.

Pour lui, c’est la capacité du président à redonner confiance qui est remise en question. Même les conventions citoyennes, comme sur la fin de vie, sont un peu obérées par celle sur le climat qui n’a pas été reprise « sans filtre ». En face d’un président « droit dans ses bottes », le front syndical reste uni et apparaît même renouvelé dans sa forme depuis l’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT. Si le nombre de manifestants baisse et si les grèves ne paralysent pas le pays, Macron a déjà perdu la bataille de l’opinion.

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Les portes de sortie

Calmer le jeu… C’est le conseil que donnent les pros en l’assortissant d’un appel au remaniement. Pour Gaspard Gantzer, il importe de « mettre un genou à terre pour reconnaître ses erreurs et faire une pause ». Philippe Moreau Chevrolet suggère de « resserrer les rangs et de remettre de l’ordre ». Julien Vaulpré estime qu’il « est impossible pour Macron de retirer le texte », mais qu’il faut « clore les séquences retraite et Borne en même temps », en s’appuyant sur des « personnalités un peu vintage qui inspirent confiance » et « des nouveaux venus du gouvernement ». À un nouveau Premier ministre de « dégager un horizon sur un grand chantier comme l’éducation », Frédéric Dabi appelle à « mettre un terme à l’ambiance fin de règne » et à un remaniement à Matignon. « Mais cela ne changera rien au rapport inflammable de l’opinion vis-à-vis de Macron », ajoute-t-il. Enfin, Gaspard Gantzer insiste sur l’idée que Macron doit donner des preuves pour recréer la confiance : « Il n’est pas exclu qu’il doive dépenser le montant de la réforme pour éviter la guerre civile. »

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