Ici New York
Cette semaine, dans sa chronique Ici New York, Clarisse Lacarrau reprend les choses à leurs débuts: l’école. En France, c’est «peut mieux faire» et une future insatisfaction chronique; aux Etats-Unis, c’est «you’re so great» et un futur optimisme sans faille. Deux approches antagonistes qui – paradoxe – forgent également des machines à produire de l’idéal.

J’ai déjà évoqué, dans le tout premier épisode de cette chronique, l’étrange propension qu’ont les Américains à tout trouver super. La bonne nouvelle, c’est qu’eux-mêmes finissent pas trouver ça bizarre ou en tout cas à en rire – cf. la performance de Lonely Island «Everything is awesome» à la dernière cérémonie des Oscars. Malgré tout, ça reste super ancré dans la culture et ne cesse de nous renvoyer à notre caractère français de râleur.

 

Française perdue au milieu de la «awesomeness», j’aurais donc pu continuer à me draper dans ma toge de sarcasme et de fatalisme, juste pour continuer à pointer du doigt leur bizarrerie. Mais au bout d’un moment, j’ai surtout cherché à comprendre pourquoi nous, Français, sommes incapables d’exprimer spontanément notre enthousiasme publiquement, joyeusement, naïvement. Pourquoi nous avons tant de mal à nous satisfaire des choses faites, du moment et du «déjà pas mal». Pourquoi nous sommes particulièrement bons lorsqu’il s’agit de souligner ce qui ne marche pas et comment ça pourrait être fait autrement et mieux.

 

Ce comportement qui, en France, produit juste des débats sans fin, met, ici, souvent mal à l’aise et a fait naître notre réputation d’arrogants (ceux qui pointent du doigt ce qu’ils pensent pas assez bon, ce qui sous-entend qu’ils savent comment faire mieux).

 

Alors, je suis revenue aux racines du mal (excusez l’expression) et me suis dit que ça n’était pas que moi; et si ça n’était pas que nous, ça devait être notre éducation. Et là, bim!, je me suis souvenue d’une phrase, la fameuse phrase que tout un chacun a un jour croisée dans sa scolarité, aussi premier de la classe soit-il: le terrible et inhibant «peut mieux faire».

 

On a beau avoir 15/20 dans presque toutes les matières, si jamais on a 10 en musique ou 8 en sciences nat’, et bien, tôt ou tard, on s’entendra dire avec un air embêté «bien mais peut mieux faire». Tandis qu’aux Etats-Unis le redoublement n’existe pas, les notes sont de vagues lettres et en sport, quand vous êtes nuls vous serez sûr de n’être jamais choisi en dernier par le capitaine d’équipe.

 

C’est donc tout naturellement que, tout au long de notre vie, on a appris à identifier le point à perfectionner, la petite bête qui nous fait dire «c’est pas top, du moins pas encore», et qui fait qu’on doit se débarrasser fissa de cet air satisfait. Et c’est aussi tout ça qui fait probablement que le Français se sent plus malheureux qu’il n’est car au fond, il sait, parce qu’on le lui a répété, qu’il y a un mieux à atteindre et qu’il ne devrait pas se reposer sur ses lauriers. Non mais oh!

 

Le plus ironique de cette histoire, c’est que ce système qui nous rend insatisfaits et donc éduqués pour critiquer et chercher le mieux (et nous fait souffrir aussi) fait de nous d’horribles arrogants, négatifs aux yeux des Américains. Lesquels du coup, se sentent eux aussi inhibés par notre propre névrose.

 

Mais assez bizarrement, il me semble que c’est ce qui fait aussi que la France comme l’Amérique sont capables de produire du fantasme, de l’attraction au-delà des réalités et du pragmatisme de la vie, car nous sommes des obsédés des idéaux et des grandes idées inatteignables (la liberté par exemple). Un genre d’optimisme sans faille pour eux, une insatisfaction chronique pour nous. Ou comment, de part et d’autres de l’Atlantique, deux peuples se fabriquent de façon totalement opposée et pourtant deviennent des machines à produire de l’idéal.

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