Tribune
Après une première phase de communication sans doute trop rassurante, ce qui a provoqué de l'indiscipline, Emmanuel Macron et le gouvernement français ont opté pour un discours dramatisant, au risque de favoriser la panique.

Tout avait si bien commencé ! Le gouvernement français avait d’entrée joué la transparence par rapport au coronavirus. A la différence de l’Etat chinois, qui a traité le médecin qui a révélé l’épidémie comme un traite à la nation, il a préféré suivre les recommandations du corps médical. Conscient du recul de la confiance de l’opinion dans l’Etat, il a su s’appuyer sur les experts médicaux et scientifiques pour crédibiliser sa parole et ses décisions. Emmanuel Macron a cherché à sensibiliser l’opinion sur les risques de l’épidémie sans dramatiser la situation afin d’éviter la panique, qui est parfois presque aussi dangereuse que la maladie elle-même. Il a choisi de communiquer sur les gestes simples permettant de réduire une grande partie du risque de contagion. S’il avait énuméré les précautions à prendre pour éviter tout risque de contamination, il aurait alimenté le sentiment d’impuissance face à la maladie et découragé les comportements de prévention.

Pour éviter la panique, l’Etat a bien fait aussi de marteler que les magasins avaient suffisamment de stock en produit de première nécessité et de valoriser la force de l’industrie agroalimentaire française. De même, l’annonce d’une volonté de débloquer tous les fonds nécessaires pour permettre aux entreprises fragilisées par l’épidémie de traverser la crise a rassuré la sphère économique. Même si elle ne pouvait pas empêcher une crise boursière. Enfin, le gouvernement s’est refusé à imposer d’entrée un confinement aux citoyens. Une décision dont on peut penser qu’elle aurait été très mal acceptée par les Français quand le nombre de victimes du virus était encore marginal.

Malheureusement, il a commis des faux pas qui ont impacté sa crédibilité pour gérer cette crise sanitaire sans précédent. Le gouvernement n’a pas réussi, à la fin février, à convaincre suffisamment de citoyens de prendre des précautions. Probablement par crainte de générer de la panique, il n’a pas su sensibiliser largement l’opinion sur les risques de la maladie. Or s’ils n’éprouvent pas d’inquiétudes, les citoyens ne sont pas enclins à changer radicalement leurs habitudes.

Dimension émotionnelle

L’Etat n’a pas assez pris en compte la dimension émotionnelle de ce type de crise. Aucune argumentation rationnelle ne permet de combattre une mise en scène fondée sur l’émotion, rappelle le neurobiologiste Francis Eustache. En d’autres termes, les témoignages de victimes ou de leurs proches sont bien plus efficaces pour activer l’amygdale, qui régit la peur dans notre cerveau, qu’une courbe de mortalité. Surtout si ces victimes ont des visages diversifiés et pas seulement celui de personnes âgées, afin de faciliter le processus d’identification. Le gouvernement s’est limité à un discours statistique «froid», qui a laissé de marbre 40% des Français, ceux qui déclaraient ne pas être inquiets dans un sondage Elabe du 13 mars. Outre le recours à des témoignages, le gouvernement aurait pu solliciter des personnalités, en dehors du monde médical, des célébrités qui auraient relayé les messages de prévention comme elles se mobilisent aujourd’hui dans l’opération Une Jonquille contre le cancer.

Mais c’est surtout le manque de cohérence dans le discours et dans les décisions prises par le gouvernement qui a grossi le rang des «corona-sceptiques». Dans les situations de pénurie ou de danger, les chefs qui sont portés au pouvoir chez les chimpanzés sont en général plus durs, plus courageux voire parfois tyranniques qu’en temps normal. Un chef sûr de lui, inspirant confiance, peut largement contribuer à repousser la panique. Sur ce plan, les contradictions et hésitations du gouvernement ont impacté son capital confiance. Et ce, dès que le virus s’est rapproché de nos frontières. Quand l’épidémie a brutalement atteint l’Italie du Nord, l’opinion a eu du mal à comprendre qu’il autorise l’accueil de 3 000 supporteurs transalpins pour le match Juventus-Lyon. De même, pourquoi avoir décrété le confinement d’un village du département de l’Oise touché par le virus mais pas celui du village voisin, tout aussi contaminé, mais appartenant à un autre département ?

Interrogations sur les priorités du gouvernement

La décision de maintenir les élections municipales a également suscité des doutes. Comment Edouard Philippe a-t-il pu affirmer le 14 mars que voter ne présentait pas de risque dès lors que les consignes étaient respectées tout en déplorant le manque de discipline des Français ? Comment évoquer l’importance de la vie démocratique pour justifier les élections tout en recommandant aux personnes âgées de rester chez elles ? Quelle démocratie peut exclure ses ainés ? Enfin, l’annonce du passage au stade 3 de l’épidémie, la veille au soir des élections municipales, a suscité des interrogations sur les priorités du gouvernement : les enjeux politiques auraient-ils été privilégiés par rapport aux exigences de santé publique ?

Quant aux précautions à prendre, si elles sont plutôt claires, leur mise en œuvre relève d’un challenge compte tenu de la pénurie des moyens préconisés par l’Etat. Il est difficile de suivre les instructions de lavage des mains quand les solutions hydro-alcooliques sont introuvables. Le discours de prévention a ses limites quand il n’est pas soutenu par des actes forts. Dans l’inconscient collectif, on peut douter qu’un objet aussi banal qu’un savon puisse nous protéger d’une grave maladie. Le masque protecteur serait nettement plus rassurant, il renvoie au monde médical et agit en «barrière» à la différence du savon, qui agit a postériori pour «nettoyer» le virus. C’est pourquoi de nombreuses voix, y compris au sein du corps médical, dénoncent le manque d’anticipation de l’Etat et la mollesse de sa réaction aujourd’hui. Pourquoi ne pas mettre un masque à disposition de l’ensemble des médecins, des pharmaciens et de tous les citoyens ?

Manque de cohérence

De même, la stratégie de mise en quarantaine promue par le gouvernement a ses limites dans un contexte où les tests au Covid-19 sont une denrée rare. Comment détecter les personnes méritant d’être mises en quarantaine quand le test est réservé aux cas les plus graves déjà admis à l’hôpital ? Pourtant, les Coréens du Sud ont misé sur ces tests à grande échelle, et cette stratégie semble leur réussir.

On peut penser que le manque de cohérence du gouvernement dans cette gestion de crise sanitaire, en alimentant le scepticisme, a largement contribué à l’indiscipline des Français. Pour sensibiliser la minorité de «corona-sceptiques», Emmanuel Macron a alors opté pour la méthode forte : le confinement total avec sanctions pour les désobéissants. C’est ce qu’il a annoncé le 16 mars au soir. Au lieu d’appeler au calme comme il l’avait fait dans ses précédentes allocutions, il a appelé à ne pas paniquer. Une maladresse, sachant que le cerveau retient le mot panique mais pas la négation abstraite pas.

De plus, en répétant à plusieurs reprises que la France était en guerre contre le virus, il a dramatisé la situation en créant un climat de panique. Il a réactivé dans notre mémoire collective les souvenirs de guerre, et par là même les réactions de survie : exode à la campagne, ruée dans les stations d’essence, razzia sur les rayons alimentaires. Les longues queues devant les magasins, les déplacements en région sont autant de situations qui risquent de favoriser la propagation du virus. Le gouvernement n’a donc pas évité les deux écueils d’une communication de crise sanitaire, que sont un discours trop rassurant au départ qui favorise l’indiscipline et un discours dramatisant qui favorise la panique.

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