La France est-elle une marque ? Faut-il créer une «marque France» ? Stratégies poursuit le débat, avec ce texte de Denis Gancel, président-fondateur de W&Cie, dont l'agence a mis en place un baromètre annuel sur le sujet, en partenariat avec l'institut Viavoice (cf. Stratégies n° 1581 du 18 mars 2010).

La remise du rapport de la mission Jégo sur la marque France, jeudi 6 mai, au président de la République peut être, s'il est suivi d'effets, un moment important pour notre économie. Un moment important car il s'inscrit dans un contexte socio-économique inédit où certains pays sont au bord du dépôt de bilan tandis que d'autres affichent des taux de croissance spectaculaires, démontrant actuellement de façon éloquente à Shanghai qu'ils seront les moteurs de la croissance mondiale du XXIe siècle, et sûrement les créateurs de marques mondiales performantes et ultracompétitives.

 

On explique souvent la marque par les notions de marquage et de différence, en évoquant le mot «brand» qui fait référence au marquage au fer rouge des bêtes à cornes... Mais la véritable étymologie du mot «marque» permet de comprendre plus clairement combien appliquer ce mot à un pays en général, et à la France en particulier, est d'abord légitime, et surtout porteur de sens pour notre économie.

 

Le mot «marque» a en effet deux autres origines européennes bien plus anciennes et bien plus riches que celles du marquage des bêtes à cornes. La première nous vient des Normands. «Marque» prend sa racine dans le mot «merche» qui signifie «marcher». La marque est donc un territoire en évolution, un espace en mouvement, avant d'être un signe de différence. La marque du territoire est née bien avant le territoire de marque.

 

La marque accompagnait les voyageurs audacieux du XIe siècle pour permettre de savoir d'où ils venaient et où ils allaient. Repère utile, elle leur indiquait le chemin parcouru, outil d'aide à la décision selon qu'une pause s'imposait ou qu'un effort restait encore possible. La marque ne vient donc pas du mot «marché» - ni celui aux bestiaux ni celui des foires de Champagne.

 

Le marché a une tout autre origine, latine cette fois, «merx» qui a donné marchand et mercantile. Comme le rappelle Michel Serres, «la marque ne se réfère pas dès l'origine au commerce, mais plutôt à l'état civil, au signe original d'une individualité».

 

La deuxième origine du mot, datant du XVIIe siècle, c'est la marque du jeu et du score. Unité de compte, elle a été à l'origine de l'ancien mark allemand et du tableau de marques de nos stades. La marque est une petite chose sérieuse qui donne de la valeur au jeu parce qu'elle en garde la mémoire. C'est elle qui transforme un simple jeu en compétition, et désigne gagnant et perdant.

 

La marque est donc tout à la fois le signe de ralliement de ceux qui avancent, marchent, et se repèrent, mais aussi le tableau d'affichage de ceux qui jouent, se battent, comptent et se souviennent.

 

C'est parce que le rapport Jégo va parler de cette marque-là que l'on peut parler sans complexe de la marque France : comment et «vers quoi» la marque France avance-t-elle ? A quoi la repère-t-on ? Quelle mémoire en avoir ? Comment s'identifie-t-elle ? Quel est son territoire de jeu ? Quelle est sa position dans la compétition mondiale ?

 

Les réflexions en cours, si elles considèrent justement (et largement) le terme «marque France», devraient, entre autres, permettre de définir un territoire d'expression plus clair et une identité plus compétitive, qui permettra aux produits français d'être « connus, aimés, choisis » en connaissance de cause. La «marque France» peut être une de ces petites choses sérieuses qui donnent de la valeur au jeu économique français.

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