Management

Passage obligé, la cérémonie des vœux aux salariés est un rendez-vous à ne pas négliger. Il donne le « la » de l’année qui s’amorce. Comment bien dire « bonne année » sur fond de « quiet quitting » et de « great resignation » ? Le vade-mecum du DRH et/ou du dirigeant.

« Bonne année 2023 et merde à celui qui le lira ! ». Le style décomplexé de Richard Strul, patron-fondateur de l’agence de webmarketing Resoneo, a fait mouche sur LinkedIn, tout début janvier. Jusqu'à 7 500 vues enregistrées en une journée, quand ses messages avoisinent d’ordinaire les 4 000 à 5 000 vues. Messages publics ou adressés aux salariés, la tonalité est la même pour les 100 collaborateurs de l’agence spécialisée dans les moteurs de recherche et les stratégies data. « Tous les vœux se ressemblent, déplore le dirigeant. Tout le monde a été formé aux mêmes livres blancs. La standardisation est délétère. Adresser ses vœux relève de l’affectif. Cela n’a de sens que si l’on y met quelque chose. » Richard Strul s’est donc fait sa religion en la matière. Mais pour beaucoup d’autres, l’exercice peut s’avérer délicat. D’autant que les salariés se rendent souvent en traînant les pieds à cette présentation obligée. Huit conseils utiles pour tenter de « réassurer », comme dit Philippe Bloquet, fondateur de PeopleSpheres, face à la conjoncture maussade.

1/ Ne pas se mettre de pression inutile.

« On apprend en faisant, note Antoine Momot, rompu à l’exercice en tant que plume du président de la RATP, et qui va donc rédiger le premier discours de Jean Castex, fraîchement nommé à la tête de la Régie autonome des transports parisiens, le 24 janvier au théâtre Mogador, en pleine réforme des retraites. Dans un contexte compliqué, se plonger dans les discours des années difficiles comme 1973 ou, plus proche, 2008 peut être une source d’inspiration. Pour dominer le sujet, et éviter les chausse-trappes, s’y atteler dès novembre est un bon timing. » Anne Pedron-Moinard, plume pédagogique, présidente de la Guilde des plumes, complète : « Un travail de diagnostic est nécessaire. Quels sont les signaux faibles en entreprise ? Comment en faire de la matière pour le discours ? »

2/ Privilégier l’authenticité.

« Le prêt-à-parler ou langue-de-bois est devenu inaudible, note Armand Caiazzo, président-fondateur de Tell Me, agence conseil en communication. Le recours au jargon pseudo-managérial, pseudoscientifique, pour dire sans dire, crée une fracture avec l’auditoire. On a abusé de cette Novlangue chère à George Orwell, dont il est question dans 1984, son roman d’anticipation, perçue comme un élément d’enfumage. Il ne faut pas avoir peur de ses émotions, et parler de ce qui vous touche, vous anime, de ce dont vous avez envie… pour passer du rituel à l’événement. »

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3/ Maquiller le « bilan et perspectives ».

Difficile de s’éloigner de cette trame-là. Pour autant, charge au dirigeant (ou à sa plume) d'élaborer un habillage, pour embarquer, susciter l’enthousiasme des équipes. « Pourquoi sont-ils là ? Pourquoi doivent-ils rester dans l’entreprise ? Les collaborateurs doivent trouver les réponses à ces questions », note Nolwenn Bernache-Assollant, consultante en management. Pour autant, les difficultés ne doivent pas être zappées. « Ne pas les nommer passerait pour suspect, commente Frédéric Vallois, ancienne plume de Vivendi, et aujourd’hui directeur de la communication externe de Prisma Media, surtout si l’entreprise ne va pas bien. »

4/ Ne pas tomber dans l’excès des chiffres.

Les entretiens annuels sont là pour ça. Et gare à la confusion avec le topo qui sera fait lors d’un conseil d’administration. « Il faut éviter le hors-sol et de n’évoquer que la stratégie de l’entreprise avec les salariés », conseille Antoine Momot. Et Anne Pedron-Moinard de noter : « Mieux vaut leur parler d’eux que de leur Key indicator performance (KPI). »

5/ Remercier mais sans nommer.

Attention, danger ! « Mieux vaut éviter d’ouvrir la boîte de Pandore, explique Antoine Momot, et citer l’un, et pas l’autre. » Cette erreur pourrait générer des frustrations ou des rancœurs, une bien mauvaise façon d’entamer l’année.

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6/ Oser l’innovation.

Pourquoi ne pas inviter un interlocuteur ? Un conférencier sur un sujet en lien avec les valeurs de l’entreprise ? Proposer une conférence assurée par un intervenant sourd pour évoquer l’inclusion ? Un humoriste ? Un mentaliste ? Oser le ludique… Autant de suggestions faites par Nolwenn Bernache-Assollant. « L’envie profonde d’une respiration est palpable », selon elle. « Ce rendez-vous est l’occasion de créer des rencontres qui n’auraient pas eu lieu autrement », note Jean Pralong, professeur à l’École de management (EM) Normandie.

7/ Bannir les discours fleuve.

Pas plus de dix minutes. « La tendance est au raccourcissement, souligne Frédéric Vallois, pour le discours des vœux, comme pour les autres discours qui viennent rythmer la vie de l’entreprise. Au fil des années, le temps d’attention diminue. Avec une intervention plus longue, le dirigeant prend le risque de dériver vers un discours trop techno. »

8/ Cibler les salariés… en live. 

Adieu Teams, Zoom… Pendant deux années de covid, la vidéo s’est imposée. Mais les salariés sont en recherche de moments physiques. La complémentarité avec le digital peut être un allié, comme un rendez-vous physique associé à un mail, par exemple. Mais attention de ne pas se tromper de cible : « Le discours interne peut parfois fuiter à l’extérieur, détaille Frédéric Vallois. Pour autant, ce discours ne doit pas être abordé comme un coup de billard à deux bandes, avec un enjeu de communication externe. »

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Les entreprises vous sollicitent-elles pour renouveler la formule des vœux ?

La pratique n’est pas nouvelle, mais reste encore exceptionnelle. Une dizaine de séances par an. L’idée est d’apporter un peu de convivialité et de casser la routine. Le foie gras ou le tarama finissent par lasser ! Cette demande peut émaner des grandes boîtes comme de petites et moyennes entreprises (PME), avec des patrons plutôt paternalistes. Ces sollicitations relèvent du management par l’humain. C’est en train de devenir une mode.

En période de difficultés, vous intervenez comme un pansement ? Un remède ?

Proposer des sketchs fait du bien, mais avec Lucie Carbone ou Arnaud Demanche, qui décryptent également le monde de l’entreprise, nous ne sommes pas des médecins. L’entreprise ne va pas devenir meilleure. Mais cela permet de faire résonner des vérités, quand par ailleurs – englués dans le quotidien -, tous les messages ne passent pas. L’humour permet de « faire avaler la pilule » dans un environnement dégradé.

Quelles sont les conditions pour que ce moment fonctionne bien ?

Rien n’est laissé au hasard. Je demande toujours des informations avant. Les salariés sont dans leur contexte d’entreprise. C’est intéressant d’orienter les propos vers leur boîte, de saisir la culture d’entreprise. C’est ce qui est apprécié. Mais il faut faire attention à la manière dont on est annoncé, amené. Souvent, les sketchs se font avec le dirigeant à proximité. Passer après le cocktail, face à un public derrière des mange-debout… est une configuration à proscrire.

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