Management

Univers immersifs, métavers, IA et machine learning font désormais partie du quotidien des services RH des grandes entreprises ou des cabinets spécialisés. Utilisés pour la la détection de talents « cachés », ces outils sont censés apporter plus de neutralité dans le processus et améliorer le « parcours candidats ».

« Quand les robots recrutent les humains ». Il y a cinq ans, alors que le conglomérat sud-coréen Lotte fait appel à une intelligence artificielle pour analyser les dizaines de milliers de CV et de lettres de candidature, les titres de la presse semblaient relever de la science-fiction. Aujourd’hui, IA, deep learning, métavers et blockchain s’invitent dans le quotidien des services ressources humaines de pratiquement tous les grands acteurs de l’économie.

Les services RH ont vu rapidement l’intérêt des univers immersifs pour former massivement les collaborateurs en les immergeant dans un environnement professionnel réaliste. Depuis 2018, la direction numérique de SNCF Réseau conçoit des expériences virtuelles destinées à la formation et à la conduite du changement. Son offre Immersive Studio est construite autour d’un outil de réalité virtuelle collaboratif qui permet une formation aux gestes métiers en plongeant le collaborateur dans un environnement virtuel à l’échelle réelle. Franprix forme, lui, ses nouveaux salariés (3 000 recrutements en CDI par an) en magasin grâce à Pitchboy, un outil de simulation de conversation. Le nouveau collaborateur est confronté, à distance, à un parcours d’intégration (rayonnage, répondre aux demandes d’une cliente, encaissement) dans de vrais rayons d’un magasin et face à de vrais interlocuteurs. À l’issue de la simulation, l’outil Pitchboy lui attribue un score et lui fait un retour afin qu’il puisse améliorer son attitude en renouvelant son parcours. En octobre 2022, Carrefour formait l’ensemble de ses 85 000 salariés français aux fondamentaux du digital via « Tous digital ! » un serious game bâti autour d’une ville virtuelle.

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Le métavers et les robots conversationnels ont aussi investi le champ de la détection des talents et du recrutement. Il y a un peu moins d’un an, Carrefour faisait sensation en organisant son premier recrutement dans un métavers. L’avatar d’Alexandre Bompard, PDG du groupe, y tenait une conférence pour tenter de convaincre une trentaine d’étudiants de Polytechnique ou de l’Institut Mines-Télécom de rejoindre le groupe en tant que data scientist ou data analyst. Plus discrètement, le cabinet d’audit et de conseil Mazars s’appuie depuis 2016 sur la technologie des chatbots pour aider les candidats à préparer leur entretien d’embauche. Depuis un an et demi, Mazars permet aux 17 000 candidats auditeurs juniors (pour 350 postes disponibles…) de tester leurs compétences via des tests cognitifs en ligne élaborés par une intelligence artificielle (Goshaba). « Nous avons la réputation d’être très sélectifs sur la base des diplômes. Or nous avons besoin de recruter des collaborateurs à haut potentiel, des têtes bien faites. Nous devons donc nous focaliser sur les compétences », explique Charlotte Gouiard, DRH du cabinet d’audit. « Nous souhaitons faire émerger des talents cachés ; l’enjeu est d’assurer une réelle diversité de profils chez Mazars », complète-t-elle. « Il s’agit aussi de se doter de technologies pour gagner en efficacité et de permettre à l’équipe RH, somme toute assez modeste, de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée humaine. »

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La Caisse d’Épargne Île-de-France s’est aussi mise en mode « test and learn » pour appréhender ces nouvelles technologies liées à l’intelligence artificielle et aux univers immersifs. « Nous nous tournons volontiers vers l’innovation pour recruter plus et mieux, notamment dans les métiers pénuriques comme celui de la vente », résume Teddy Bisson, responsable de département recrutement, relations écoles et marque employeur de la banque. Depuis un peu plus d’un an, son département utilise, à l’instar de Mazars, des tests de recrutement générés par une IA (Assessfirst). « Grâce à l’intelligence artificielle, nous cherchons surtout à détecter le potentiel des candidats plutôt que d’analyser leur parcours », explique Teddy Bisson. « Certaines candidatures, qui n’auraient pas attiré notre attention sur la base du CV, se révèlent grâce aux tests », se réjouit-il. Le recours à une IA permettrait aussi de limiter les biais humains, les « discriminations inconscientes », lors du recrutement. « Je suis satisfait d’apporter grâce à ces outils une certaine neutralité dans un processus de recrutement qui se base avant tout sur la motivation, la capacité cognitive et les traits de personnalité », complète le responsable du recrutement de la Caisse d’Épargne Île-de-France.

Ces solutions de chatbots, tests cognitifs ou comportementaux ont un autre avantage : ils délivrent aux candidats un retour quasi instantané sur l’entretien virtuel ou les tests réalisés. Avec une éventuelle notation et des commentaires, voire des conseils, le candidat connaît les raisons « objectives » de son adéquation ou non au poste, lui permettant d’améliorer ses futures candidatures. Dans un contexte de pénuries de talents, notamment dans le domaine du digital, les entreprises entretiennent ainsi leur image de marque employeur et entendent améliorer le parcours candidat, à l’instar des techniques marketing pour optimiser le parcours client.

Trois questions à François Geuze, consultant en stratégies RH et nouvelles technologies, enseignant en master RH (IAE de Lille)

Peut-on parler d’une révolution de l’IA dans le domaine des RH ?

La transformation digitale des RH est engagée depuis de nombreuses années. De nouveaux outils et méthodes apparaissent régulièrement. Il y a un mouvement de fond qui a tout d’abord permis de développer des outils collaboratifs, favorisant le développement de communautés de projet… Cette logique « sociale », c’est ce que j’appellerais les RH 2.0. Aujourd’hui, les technologies les plus récentes cherchent à faire parler les données, à faire des projections, voire de la prescription en développant les capacités conversationnelles. C’est l’ère de la RH 3.0. La fonction RH est-elle bousculée par les technologies numériques ? Oui. Cela date-t-il du métavers et de ChatGPT ? Clairement non !

Les candidats et les collaborateurs doivent-ils craindre d’être recruté par « une machine » ?

Les nouveaux outils « intelligents » peuvent nous aider à réduire le temps dédié à l’administratif – qui a considérablement crû ces dernières années - pour se consacrer à la qualité de service. Nous pouvons utiliser ces outils pour réhumaniser l’ensemble de nos process, mieux connaître nos « clients internes » et concevoir ou améliorer l’expérience collaborateurs.

Comment évolue la fonction de DRH ?

Dans cette logique 3.0, le DRH doit plus que jamais être un architecte des ressources humaines ; il doit développer ses capacités stratégiques et organisationnelles. Les responsables RH ne sont plus des gestionnaires de carrière, mais des agents de développement des talents.

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