Inspirations

Julien Féré est Docteur en Sciences de l'information et de la communication au Celsa Paris Sorbonne. En 2006, il porte sa thèse sur les tendances et l’édite dans un ouvrage de plus de 300 pages, sorti le 15 juin dernier. Retour sur Les dessous des tendances.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous pencher sur ce sujet des tendances ?

Julien Féré. Je l’ai découvert quand j’ai commencé à travailler chez France Télécom. C’était au moment de l’explosion des téléphones portables, et l’entreprise s’était mise à en construire. Plein de questions sont survenues comme quelle couleur choisir, quel design, et j’étais dans l’équipe marketing qui s’est mise à acheter des cahiers de tendance. J’ai décelé un monde assez particulier où des personnes prédisent des années à l’avance quelles seront les tendances à venir. Je me suis donc intéressé au sujet. J’ai essayé de comprendre comment leur parole pouvait être prédictive, et puis plus globalement comment ce phénomène dont tout le monde parlait n’était pas encore problématisé. Il y avait très peu de sujets là-dessus, et ce n’était pas un objet interrogé du point de vue scientifique.

Quel a été votre approche dans la conception de ce livre ?

C’était assez spécial, j’avais à la fois une posture de chercheur et de professionnel puisque j’ai travaillé pendant plus de dix ans en planning stratégique. L’une des missions est de faire des revues de tendance, c’est-à-dire qu’on travaille pour un client qui nous demande quelles sont les tendances sur leur marché, comment consomme sa cible, quel est le comportement des millennials, etc. J’ai été amené à la fois à aller regarder d’un point de vue d’observation, mais aussi d’acteur puisque j’en produisais. Ce que je recherche aussi aujourd’hui, c’est la circulation dans l’imaginaire des professionnels du marketing et de la communication de mots tendances. À une époque, c’était la communication 360, le programmatique, le brand content, et donc je m’interroge sur comment est-ce que ces mots deviennent, à un moment donné, créateurs de valeur.

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Comment définit-on une tendance ?

C’est un objet assez évanescent. C’est un mot qui recouvre plein de réalités différentes et qui échappe à la définition. Le fait même qu’on ne s’interroge pas dessus participe à son succès et fait qu’il fonctionne. Une tendance, c’est comme si on prenait un nouveau signe, c’est-à-dire qu’on prend des objets existants qui ne sont pas liés entre eux, et ensuite on construit un fil qui va leur donner un nouveau sens et donc une nouvelle valeur. Mais ça ne suffit pas, car la tendance passe aussi par la communication à travers des caisses de résonance. Ça peut être le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux, et surtout les médias. Les journalistes sont des pourvoyeurs de tendances dans la diffusion mais aussi dans leur construction puisqu’ils font le lien entre les deux. À l’origine, c’est quelque chose de très individuel qui va devenir communautaire, pour ensuite se diffuser et se transformer en signe de ralliement entre les gens, jusqu’à gagner toute la société et évoluer en une norme sociale.

Peut-elle être positive ou négative ?

Ce qui est génial, c’est que la tendance n'est pas porteuse de jugement de valeur. Le livre No Logo de Naomi Klein est un bon exemple puisqu’il est l’essence même de la négation de la société de consommation. Elle y explique qu’on est dans une forme d’économie des objets d’essentialité, et en fait, ça a donné naissance à d’autres objets. Louis Vuitton a sorti ses premiers sacs sans logo monogramme, Muji s’est aussi lancé sur le No Logo avec une qualité des objets et un retour plutôt à l’essentiel. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut s’inscrire en défaut du système et cela crée d’autres courants derrière.

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Sa durée de création est-elle variable ?

Pour qu’elle ait du succès, il ne faut pas qu’elle ait d’auteur. Il faut qu’on donne l’impression que c’est quelque chose de naturel, et c’est ce que fait le journaliste en analysant les tendances. Il montre que ce n’est pas une production d’une personne, mais que c’est quelque chose qui inonde, parcourt et irrigue la société. C’est ce qui différencie beaucoup la tendance de l’art, car une œuvre n’a pas vocation à être reproduite par la suite, ce qui est tout l’inverse pour la tendance qui doit être totalement anonymisée pour se diffuser.

La tendance est-elle aussi sociale ?

Complètement. Par exemple, il y a une tendance communautaire énorme autour de l’environnement qui a émergé dans les années 1990. C’était quand même au départ quelque chose de très particulier et pour des gens spécialisés. Et puis les gens se sont regroupés, on a eu la naissance des épiceries bio avec des chaînes spécifiques. Aujourd’hui on le voit bien, il y a une disparition de ces chaînes qui sont rachetées par des grandes surfaces qui intègrent le bio dans leur rayon. En fait, c’est devenu un phénomène de masse, c’est-à-dire qu’aujourd’hui ce n’est pas possible de ne pas s’inscrire dans ce courant. Et comme cela a pris de l’ampleur, et que cela a touché plein de fusils différents, ça a aussi donné la naissance du greenwashing. A fortiori, tout le monde le récupère et le prend en charge de façon parfois peu pertinente.

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Pourquoi avoir fait appel à des contributeurs pour la conception du livre ?

Quand j’ai écrit Les Dessous des marques (2021), je pense que j’avais réalisé à peu près 50% du travail, et j’ai interrogé des professionnels [dont notre collaboratrice Delphine Le Goff] pour raconter un peu d’histoire de marque. Quant à Les dessous des tendances, c’est un peu plus différent puisque c’est vraiment ma contribution, car c’est une thèse que j’ai soutenu en 2006 et qui s’ajoute de contrepoints avec des intervenants. Ça se constitue dans une logique de collection. Concernant la couverture, j’ai fait appel à Thibault Milet, l’un de mes anciens élèves devenu illustrateur. Il a réussi à imager la tendance à travers un dessin, avec toutes les entrées différentes lorsqu’elle se crée.

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