Identité
Les graphistes ne jurent plus que par ce style minimaliste né du digital qui débarrasse logos et interfaces de tout artifice. Au risque de tomber dans l’uniformisation et la banalité?

SFR, Pizza Hut, Rue du commerce, Ebay, Yahoo, Google… Ce n’est plus une vague, c'est une déferlante. Toutes ces marques viennent récemment, à l’occasion de la refonte de leur identité visuelle, de céder aux sirènes du flat design, littéralement «design plat». Adieu les effets de matières ou de textures, place à la simplicité et au dépouillement maximal. C’est ainsi par exemple que le toit rouge de Pizza Hut, élément de reconnaissance s’il en est, abandonne ses reliefs et ses dégradés de couleurs pour s’intégrer, en réserve blanche, dans un aplat rouge en forme de cercle. Autre exemple pointé par Alix Declercq, présidente de l’agence Be Dandy et fondatrice du quotidien en ligne Logonews, celui de Bouygues telecom qui a épuré son logo délaissant la représentation générique d’un bonhomme.

Selon les spécialistes, c’est Microsoft qui en 2012 a donné le coup d’envoi des hostilités. À l’occasion du lancement de son nouveau système d’exploitation Windows 8, le géant américain a mis en œuvre une interface graphique en rupture totale avec la version précédente. La révolution est telle que les géants du secteur ont dû s’aligner, à commencer par Google et Apple. «Le flat design est une façon de traiter en 2D l’identité visuelle ou le packaging», explique Gérard Caron. Pour l’ancien patron de l’agence Carré noir, aujourd’hui consultant, cette approche a toujours existé. Des logos comme ceux de Maggi ou Banania, par exemple, étaient déjà du flat design parce que traités sous forme d’illustration.

Plus rapide et plus lisible

La grande nouveauté, c’est que cette tendance traverse aujourd’hui tous les pays sous l’influence des nouvelles technologies. Et ce n’est pas un hasard si le digital donne le ton: le flat design économise des pixels alors que la 3D, les ombres ou le relief en consomment beaucoup. En misant sur une simple forme géométrique dans un aplat de couleur, en enlevant tout ce qui est décoratif et superflu, l’objectif est aussi de gagner en rapidité et en lisibilité.

Directeur de l’agence rennaise Lunaweb, Nicolas Le Cam confirme: «Le flat design correspond à une époque où le web arrive à maturité. Avec la diversification des écrans, les sites internet ont du passer en responsive design, c’est-à-dire adopter un design qui s’adapte au terminal sur lequel la requête est effectuée. Typiquement, aujourd’hui, on ne dessine plus un bouton, par exemple, de 3 cm de long, mais un bouton qui, quel que soit l’écran sur lequel il est vu, occupera 10% de l’espace. Et le flat design est l’un des éléments qui permet cette adaptabilité.» Hélène Sagné, fondatrice de Bug Agency, une agence présente à Londres et Paris, note elle aussi que le flat design correspond à une rupture liée aux usages du web. «Pour des questions d’ergonomie, les graphistes ont cherché à apporter des éléments simples à utiliser par le grand public adepte de smartphones et de médias sociaux», commente-t-elle.

Issue du web, la révolution du flat design a ensuite gagné, par effet de mode, les autres aspects de l’identité d’une marque: son logo, mais aussi son packaging, voire ses produits. Au dernier palmarès des Pentawards, une compétition de packaging qui juge chaque année 1 500 créations dans le monde entier, les exemples de flat design pullulaient: emballages de riz en simple papier kraft sur lequel le produit est suggéré par un aplat blanc en forme de grain, boissons où les fruits sont représentés par des lignes claires, comme dans une bande dessinée, ou encore utilisation de pictogrammes, d’éléments rapidement décodés, comme sur les panneaux au bord des routes...

Une forme de reconnaissance

Pour les spécialistes du design, l’avènement du flat design sonne comme une reconnaissance de leur métier. «J’ai envie de dire "enfin!", note Guillaume David, directeur associé de l’agence Graphèmes, à Lille. Enfin une tendance aussi affirmée qui émerge dans notre discipline! Car notre vocation est de mettre en avant un contenu de la manière la plus simple, efficace et distinctive possible. Plus qu’une révolution, c’est une reconnaissance de notre métier, qui est de servir un contenu plutôt que de faire du bruit autour pour le rendre attractif.»

Alix Declercq s’amuse, elle, de voir décrire le flat design comme une simple tendance: «Le flat design, c'est l'essence même du métier, le b-a-ba de l’identité visuelle. Quand on sort un logo, explique-t-elle, on cherche tout sauf à être dans la mode. D’ailleurs, un logo, c’est avant tout de la typo, et donc c’est forcément à plat. Sinon, c’est de l’amateurisme. Prenez l’identité visuelle du TGV, par exemple, qui n’est que de la texture et de la matière. Si vous la déclinez en noir et blanc, elle ne dit plus rien.»

Plus qu’une mode, le flat? Oui, dans la mesure où les contraintes techniques qui l'ont imposé vont perdurer. Un retour en arrière est-il néanmoins possible? «Personne ne peut le dire, estime Gérard Caron. Mais tout finit quand même par passer. Il y aura bien un jour où l’économie de pixels n’aura plus de sens et où l’on reviendra à quelque chose de plus sexy. Car il ne faut pas oublier que le désir reste le moteur principal de l’acte d’achat.»

Garder l'émotion

D’ores et déjà, des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les dangers d’uniformisation et de banalisation que pourrait engendrer un excès de flat design. «Ce qui nous guette, c’est tout simplement l’ennui, admet Guillaume David. Parfois, la simplification absolue peut se traduire par une banalisation absolue.» Selon lui, le travail effectué par Nivea reste un modèle à suivre. «Le logo Nivea s’est "flatisé" mais il n’a pas perdu au change, estime-t-il. Le rond bleu apporte encore de l’émotion car il renvoie à la madeleine de Proust de la petite boîte de crème qu’il y avait chez nos parents.»

A contrario, le nouveau logo de l’enseigne André a, selon lui, perdu de l’émotion en s’aplatissant: «Avec le A qui était souligné, l’ancien logo avait du rythme. Le nouveau, avec sa typo bâton en capitales, est proche de l’encéphalogramme plat.» Emmanuel Thouan, fondateur associé de Dici Design, une agence spécialiste des PME, pointe une autre limite: «Si tout le monde se met à utiliser les mêmes codes, notamment pour les couleurs, le consommateur finira par avoir du mal à se repérer». Selon la phrase consacrée, «less is more», d’accord, mais pas trop quand même...

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