Automobile
Nommé à la tête du marketing de Renault à la mi-septembre 2020, Arnaud Belloni doit contribuer à la montée en gamme de la marque en jouant notamment sur ses icônes. Entretien.

Pourquoi avoir rejoint Renault ?

J’ai commencé chez Renault entre 1989 et 1999 à une époque où les étudiants trouvaient du boulot facilement et donc à une époque où l’on pouvait choisir son secteur d’activité et son entreprise. Et j’avais choisi Renault. J’avais ciblé quatre secteurs : l’automobile en priorité, la publicité – j’avais postulé chez RSCG et j’avais été pris -, l’hôtellerie – là, je visais Accor – et enfin l’aérien. Renault est une marque de cœur que j’ai toujours regardé d’un coin de l’œil, tout au long de mes 31 années de carrière. Dernièrement j’étais mal à l’aise de voir Renault en difficulté alors qu’il a été successful.



En quoi la marque a changé depuis vos débuts en 1989 ?

Elle n’a pas tant changé. La marque a toujours eu ses madeleines de Proust : la F1, Twingo, Clio, Espace, Megane, la musique Johnny and Mary de Robert Palmer et ce positionnement de voiture à vivre. Les présidents successifs ont fait de Renault une marque de grand volume et une alliance fort puissante, et après, pour des raisons que je ne commente pas, il y a eu des difficultés.

Si on me demande «est-ce que grave docteur ?», je réponds qu’évidemment c’est compliqué, mais pas tant que ça, car il y a de telles icônes à réactiver que cela va permettre de faire naître un rictus, de l’émotion, de faire couler une larme, de donner la chair de poule. Les icônes seront toujours là. Les voitures sont plus à vivre encore qu’à l’époque où l'on parlait des fameuses «Voitures à vivre». Mon boulot est de réactiver la magie Renault.



Dans la feuille de route il y a la montée en gamme mais est-ce seulement possible ?

Si Luca de Meo [directeur général et président du groupe Renault] l’a dit, c’est qu’on peut le faire. Lui l’a déjà réalisé deux fois dans sa vie avec Fiat et Seat, et moi certes pas à son niveau, mais déjà trois fois avec Fiat, Skoda au début des années 2000 et Citroën. Comment est-ce possible ? Sachez que notre métier est technique. Les gens n’achètent que des marques fortes et qu’ils respectent. Et quand ces conditions sont réunies, ils payent le prix.

Nous devons réactiver les légendes. Par exemple les gens adorent Twingo, donc la première chose que je fais en revenant dans le groupe c’est relancer la campagne historique de Twingo en février 2021 –je vous donne un scoop–, avec la musique de Philippe Petit-Roulet. Vous voyez, ce n’est pas si compliqué !

Est-ce qu’Arnaud Belloni a inventé ces madeleines de Proust ? Non ! Mon job est de les remettre au goût du jour et il faut un certain courage. Le deuxième exemple est la Formule 1. Renault a toujours été un motoriste génial : il a fait le pari du turbo, du V10 et de l’électrique. Cela mérite qu’on le dise, donc le 24 décembre, vous verrez à la TV un film expliquant que les moteurs hybrides des Renault de route sont, en fait, issus de la Formule 1.



Pourtant Renault va se retirer de la F1 au profit de la marque Alpine…

Renault sera toujours le motoriste ! Et pour faire le lien, nous allons mettre l’accent sur la marque ombrelle de moteurs hybrides E-tech comme ont bien su le faire par exemple les Allemands [le groupe Volkswagen] avec le TDI.



Comment contribuez-vous à cette montée en gamme à votre poste ?

Pour repérer une montée en gamme, il faut une montée en gamme publicitaire, qui incarne une marque chaude, latine avec une expression des gens chaleureuse, humaine… Le film sur la F1 ne va pas parler de gagne mais d’histoire d’hommes et de femmes, une marque pionnière qui ose. L’idée est de se dire en voyant ce film : Renault est de retour. Pour quantifier les choses, j’ai une vingtaine de sujets – dans les années 80 on parlait de campagnes – en cours, dont 11 validés par Luca et trois en cours de tournage. Quand vous verrez les films dans les trois prochains mois vous allez vous dire « ok, j’ai compris ce qu’il voulait dire ». Pour opérer cette montée en gamme on s’appuie sur des piliers crédibles. La manipulation marketing est impossible car le grand public ne s’y trompe pas.



Renault monte en gamme mais le pays s’enfonce dans la crise. Après un an de Gilets jaunes dont le déclencheur était déjà lié à la voiture avec la hausse du prix du carburant, ce virage stratégique n’est-il pas à rebours des attentes des automobilistes ?

Non, parce que là, vous essayez d’opposer le fait de mieux vendre Renault et ne plus vendre au grand public. Votre commentaire est juste mais Renault reste une marque populaire ; au sens «pop culture». Par exemple aujourd’hui une Zoé électrique, c’est entre 25 et 30 000 euros mais Twingo électrique est moins chère. Elle est même accessible à partir de 99 euros par mois.



Pour revenir à la publicité, le secteur est devenu très ennuyeux : toutes les campagnes montrent des voitures filmées de trois-quarts avec un slogan tourné vers le futur… Pour sauver Renault ne va-t-il pas fallloir un peu d'audace publicitaire ?

Le problème du marketing automobile est qu’il n’est pas réalisé par des professionnels du secteur. En l’occurrence, c’est un métier et je le fais depuis 31 ans. Je considère que je peux encore grandir dans ce domaine. Souvent on met au marketing quelqu’un de passage mais qui n’est pas du métier. Mais c’est comme dans le journalisme : il y a des grands patrons de presse qui ont dit qu’ils n’avaient plus besoin de rédaction, mais in fine, il n’y a plus d’ADN ni de ton. Le marketing automobile, c’est pareil : nous ne sommes pas une commodité. Nous vendons une technologie qui coûte cher. Nous devons payer les ouvriers qui les fabriquent et qui doivent aussi avoir des primes. Nous devons financer tout le monde, jusqu’au directeur financier. Nous devons raconter des histoires crédibles et le marketing doit sublimer le travail des équipes.

Ce qui marche bien en ce moment, c’est de raconter des histoires vraies et bienveillantes, les gens adorent. Ce qu’il faut réussir à trouver ce sont des moments de justesse dans les marques qui sont des moments d’excellence. Par exemple la pub de l’autostoppeur pour Citroën, qui nous fait traverser les époques pour arriver à l’Ami, il y avait un million de raisons de ne pas la faire car on ne devait pas parler d’histoire. Nous l’avons fait quand même.



Pourquoi tant s’accrocher aux icônes du passé ? Le futur ne fait-il pas envie ?

Je ne suis pas un passéiste ! Vous me connaissez pour l’Ami dont on ne peut pas dire qu’elle évoque le passé. Par exemple dans le film E-tech autour du moteur hybride, il n’y a pas de référence à l’histoire. Je pense néanmoins que dans la période actuelle, les gens ont besoin de repères. Les gens ne veulent pas de muséographie, nous devons être dans une logique signifiante et juste.



Pour mener un tel chantier, allez-vous réinterroger vos agences ?

Allez-vous changer d’agences, changer de slogan, virer des gens ? Il y a plusieurs tartes à la crème dans le marketing... Non ! Ce que j’explique depuis trente minutes est qu’il y a beaucoup de bienveillance dans ma démarche. La priorité numéro un est de magnifier la marque et de la sublimer. Alors que changer le design met deux à trois ans, changer le visage publicitaire prend moins de six mois. Onze campagnes vont être shootées dont trois le sont déjà avec mon agence actuelle – je dis « mon » alors que je suis chez Renault depuis moins de trois mois, d’ailleurs. Il y a des gens de talent chez Publicis. Sans faire l’apologie de Publicis, si nous les briefons bien et que nous les laissons s’exprimer, ils livreront le matériel dont je pense qu’ils rêvaient eux-mêmes.

 

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