Evénement
«Truth» : le thème de l'édition estivale des Napoléons, du 18 au 21 juillet dernier, entendait faire toute la lumière sur la vérité - et son corollaire, le mensonge... Compte-rendu.

Ont-ils dû prêter ce serment ? « Jurez de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ? » Sous l’impitoyable soleil de Camargue, du 18 au 21 juillet dernier, des speakers triés sur le volet se sont succédé, dans les arènes d’Arles, le Théâtre antique ou la Fondation Vincent Van Gogh, afin d’être soumis à la question de l'édition d'été des Napoléons : qu’est-ce que la vérité ? Politiques (Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique) y ont côtoyé chefs d’entreprise (Mathias Vicherat, DGA de la SNCF, Jean-Marc Janaillac, ex-patron d’Air France…), patrons de médias, linguistes (Cécile Alduy, Jeanne Bordeau...), juristes (Mathias Chichportich, avocat, Pierre-Olivier Sur, ex-bâtonnier du barreau de Paris...), intellectuels (Denis Peschanski, historien...)… Toute vérité est-elle bonne à dire ? Morceaux choisis.

La vérité des chiffres ?

« Le chiffre a une apparence de neutralité, et a le mérite d’apparaître comme un langage universel : il est facile d’avoir raison avec un chiffre ». Dominique Lévy, ex-DG d’Ipsos France et actuelle DG de L’Obs est catégorique : « le recours au chiffre permet de s’exonérer de l’intuition et de la subjectivité. Dans le même temps se creuse un écart de plus en plus fort entre ceux qui maîtrisent les chiffres et les autres, qui les remettent en cause ». Un chiffre, parlant, celui-là : « La moitié des différentes théories du complot a une notoriété supérieure à 50% », selon Gilles Finchelstein, directeur des études chez Havas et directeur général de la Fondation Jean Jaurès, qui a cofinancé une étude sur la tentation radicale. En conclusion, Finchelstein citait cette phrase savoureuse, attribuée à Michel Rocard : « Il faut toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante, le complot suppose un esprit rare. »

Fake news, séparer le bon grain de l’ivraie

À la question : « Avez-vous été nominée pour créer un ORTF 2.0 pour la macronie ? », Sibyle Veil, PDG de Radio France et ancienne camarade de promo d’Emmanuel Macron à l’ENA, répondait du tac au tac : « Voilà la première fake news que j'ai subie quand je me suis portée candidate à la présidence de la Maison Ronde ». Et de réaffirmer la nécessité absolue de « toujours vérifier les infos, sans donner dans la chasse au clic, ce qui jette la suspicion sur nous et les médias en général. La vitesse à laquelle se propage une fausse info est six fois rapide qu’une info vérifiée dans un média reconnu ». « Un collégien sur deux ne fait pas la différence entre une image de fiction et un reportage », déplorait quant à lui Vincent Giret, directeur de Franceinfo. Tout premier frein, selon Estelle Cognacq, directrice adjointe de la rédaction à Franceinfo chargée de la certification, « il n’y a pas aujourd’hui d’action structurée, de pensée, autour de cette éducation aux médias ».

Vérité et politique, sœurs ennemies ?

« Non, on ne peut pas gagner une élection sur le mensonge. J’ai préféré le 1er mars 2017 quitter une famille politique plutôt que cautionner un mensonge » Dans les arènes d’Arles, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie livrait « sa vérité ». « Churchill disait que la politique, c’est aller d’erreur en erreur en prétendant avoir toujours dit la vérité. En politique, la vérité, c’est la conviction ». Convictions martelées par Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au numérique : « La vérité, c'est un truc de bourges. Tout le monde n'a pas les moyens d'y avoir accès ». Injustice réparable « grâce à la lutte contre l’“illectronisme”, sur lequel nous menons un rapport ». Quant à la loi anti-fake news du gouvernement, « elle ne vise pas à réguler l’information, mais les plateformes qui la diffusent. On ne pose pas la question de la vérité mais celle de la volonté de manipuler ».

Parler vrai, ou vraiment mentir ?

Manipuler, disent-ils. « Depuis Sarkozy émerge l'idée que parler cash c'est parler vrai. Comme Wauquiez, on transgresse alors les codes du langage. Mais c'est confondre le fond et la forme », soulignait Cécile Alduy, spécialiste de la littérature du XVIe siècle, professeur à Stanford, qui se penchait sur les distorsions de la vérité dans le langage, l'écume du discours. « Revendiquer un discours de réalité, c'est par définition un mensonge, une manière de dépolitiser le débat », lâchait-elle. Jeanne Bordeau, fondatrice de l'Institut de la qualité d'expression, remarquait quant à elle que « dans les entreprises, aucune n'a pour valeur la vérité ». Mais le plus grave ne serait-il pas, comme le dépeignait Cécile Alduy, « la phase de chaos sémantique total dans laquelle nous vivons. Avec des personnages comme Trump, tweet après tweet, on plonge au-delà du mensonge, en décollant les mots et leur sens. Le positif devient le négatif, “Good is bad” ».

Tous imposteurs ?

Dévoiement du langage, règne des apparences… « À l’ère d’Internet, la société prend des airs de bal masqué, d'ère où l’habit fait le moine, mais où il n’y a plus de moine sous l’habit…, lâche Roland Gori, psychopathologue et auteur de La Fabrique des imposteurs. L'imposture c'est la sœur siamoise du conformisme. Tout concourt aujourd'hui à éloigner de la pensée critique, de l'examen attentif ». Celui qui se targue de dire toujours la vérité n’est donc rien d'autre qu’un menteur… « Imposteurs, menteurs, fraudeurs, nous le sommes tous un peu ». En conclusion de son allocution, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, ne disait pas autre chose, en reprenant à son compte une phrase de Borges : « Dans chaque homme, il y a toujours deux hommes et le plus vrai, c'est l'autre. »

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.