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Longtemps snobée par le monde de la tech, la santé des femmes est désormais prise en compte. Chaque partie de leur anatomie est scrutée à la loupe par la Silicon Valley.

Avant la fin des années 1960, et le Women's Lib [mouvement de libération de la femme], les femmes n’ont d'autre choix que d’apprendre par elles-mêmes comment fonctionne leur corps... Aujourd’hui, elles entendent définitivement mettre fin à ce schéma en se réappropriant le domaine de la santé. Bienvenue dans le monde de la Femtech. Ce n’est pas du verlan, ni de l’argot, mais le terme utilisé pour parler de l’écosystème des start-up consacrées à la femme, où les innovations sont tournées vers son bien-être. Selon un article publié dans le magazine Allure, plus de 400 millions de dollars auraient été investis par les sociétés, un montant qui devrait s’élever à 50 milliards de dollars d’ici à 2025.

Menstrutech

Entre les soutiens-gorges tireurs de lait, les applis pour aider à procréer ou rééduquer le périnée, plus aucun sujet n'est tabou. Tel un gynécologue à domicile, la Femtech réinvente le suivi et les traitements, allant même jusqu’à créer un sous-secteur : celui de la Momtech. « Il y a une prise de conscience massive et progressive sur la santé des femmes et ce sujet n’est pas seulement évoqué dans le milieu de la tech », rapporte Lucie Ronfaut, journaliste au Figaro Tech. Sujet de débat au sein de cette révolution technologique : celle-ci a trop fréquemment tendance à penser la femme en tant que mère potentielle. Faire de l’argent sur le ventre féminin reste monnaie courante... « Dans la Femtech, une jeune femme, potentiellement fertile, est plus rentable qu’une femme âgée », explique la journaliste.

Une équation à laquelle les géants de la Silicon Valley n’avaient pas pensé en lançant des applications santé. « Quand Apple sort Health en 2014, il n’a pas du tout réfléchi à l’option “règles”. Ironique quand on sait que plus de 50 % des êtres humains les ont une fois par mois », avance Lucie Ronfaut. Il faudra attendre quelques années avant que les entrepreneurs et les développeurs rectifient le tir. D’abord conçues autour de la procréation, des applications de mesure des règles ont vu le jour comme Glow, puis des applis construites autour de la compréhension du cycle dont Clue, Flo, Period Tracker… Outre la fréquence des règles, ces applications sont renseignées sur les degrés de douleurs des cycles, si vous avez eu des rapports protégés, et par conséquent, si vous êtes à même d’avoir un enfant. Des données intimes que les utilisatrices consentent à communiquer mais qui peuvent se retourner contre elles. En 2016, une journaliste du New York Times raconte dans un édito intitulé « The internet thinks I’m still pregnant », comment, alors qu’elle utilisait l’une de ces applications, elle est tombée enceinte… Une grossesse interrompue par une fausse couche trois mois plus tard. Après avoir supprimé l’application, elle reçoit au bout de neuf mois un colis avec un kit à destination du nouveau (non) né. Double traumatisme. Aucune fonction dans ces applications ne permet de renseigner la perte d'un enfant ou de son abandon. La « menstrutech », terme inventé par la journaliste Lucie Ronfaut, montre déjà ses limites. « La plupart de ces entreprises sont montées par des hommes, les femmes étant considérées comme des outsiders dans le monde de la tech... », témoigne Juliette Ragagnon, planneur stratégique chez BETC. 

Économie du vagin

Dans un monde inondé de #MeToo et de #BalanceTonPorc, les femmes prennent la parole et (ré)apprennent à exalter leur corps. C'est le but affiché de la Sextech. « Dans notre période néo-féministe, les tabous tombent. L’intime est désormais un sujet de conversation », explique Juliette Ragagnon. Il s'agit de transformer le plaisir en « empouvoirement » [terme dérivé de l'empowerment américain], avec ou sans partenaire. « Historiquement, dans les pays latins, le plaisir féminin était aux mains des hommes. Depuis la série Sex and the City, les femmes se sont réapproprié, de droit, leur plaisir », avance Grégory Dorcel, directeur général de Marc Dorcel. 

Ce n’est pas un hasard si 40 % des Françaises assument les plaisirs en solo à l’aide d’objets connectés en tous genres, rapporte une étude de 2017 menée par l'Ifop pour Marc Dorcel. « La notion d’intimité a changé, le sexe ne s’arrête plus à la sphère du couple. On assiste à une démocratisation du sexe dans notre société et les femmes ont imposé une parole de plus en plus décomplexée », analyse Christophe Manceau, directeur du planning stratégique chez Kantar. « En termes d’avancée technologique, le sexe est un marché de biens et de services comme un autre. Il représente 50 milliards de chiffre d’affaires », continue Christophe Manceau. 

De plus en plus d’entrepreneuses se saisissent de cette industrie émergente. Dans les tiroirs de la commode ne se cachent plus seulement des sextoys pensés sous la forme phallique, mais aussi des canards, aspirateurs clitoridiens… Le cabinet JWT Intelligence parlait d’ailleurs de l’année 2017 comme étant celle du « vagina-nomics », littéralement l’économie du vagin. Quant à la publicitaire britannique Cindy Gallop, elle a créé le premier fonds d’investissement dédié aux femmes de la Sextech... La France reste timide dans ce domaine. Les projets de start-up bénéficient des services d'un mastodonte en matière de sexe : Marc Dorcel. « C’était de notre devoir de les aider en ouvrant en 2017 le Dorcel Lab, le premier incubateur français dédié à la Sextech », argumente Grégory Dorcel. Son arrivée entend ouvrir encore plus la voie aux plaisirs connectés...

Instagram, nouvelle plateforme d’expression sexuelle ?

 Depuis le printemps 2018, les comptes Instagram traitant de la sexualité, plus particulièrement féminine, fleurissent. Avec la création du compte « T’as joui » par la journaliste Dora Moutot, l’expression de la jouissance féminine s’est ouverte. D’autres ont suivi : « Gang de clito », « J’m’en bats le clito », « Jouissance Club », « La Prédiction »… Tous prônent une liberté de parole, parlent de plaisir et éduquent même sur les parties génitales. Selon un rapport rendu par le Haut Conseil à l’égalité de 2016, un quart des adolescentes de 15 ans ne savent pas qu’elles ont un clitoris, et  83 % ne connaissent pas leur utilité. Délaissé par l’éducation nationale, l’apprentissage sexuel n’est pas automatiquement fait à la maison. Les jeunes n’ont d’autre choix que d’expérimenter ou de s’y intéresser grâce à internet. Malheureusement les films pornographiques ne sont pas exactement le porte-étendard de la cause féminine... 

 

Auto-censure

Toujours selon le rapport du Haut Conseil à l’égalité, 63 % des Français considèrent qu’il est plus difficile pour les hommes que pour les femmes de maîtriser leur désir sexuel. « J’ai monté mon compte j’avais 22 ans. Je venais d’entendre une discussion entre garçons parler de sexe et de nanas, c’était aberrant. Même entre potes, on s’auto-censure », explique Camille, créatrice du compte Instagram @Jmenbatsleclito. Contrairement aux influenceurs lisses et sans défauts, ces comptes militants ne rapportent pas d’argent. Et comme le rappelle Grégory Pouy dans son podcast Vlan!, « quand un compte est bloqué ce n’est pas du fait du réseau mais des personnes qui signalent en nombre le compte ». Les femmes topless choquent toujours plus qu’un homme tétons à l’air. Et selon l’autrice Marie Bongars, le sang menstruel et les accouchements sont interdits sur le réseau social quand des hashtags comme #freethenipples et #curvy sont censurés. La liberté d’expression certes, mais sous certaines conditions. 

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